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Fabrice Midal — Et si la poésie menait à l’éveil?

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21.04.2009

Juif converti au bouddhisme, Fabrice Midal propose un chemin spirituel original, hors des carcans religieux. Rencontre à l’occasion de la parution de son dernier livre

Fabrice Midal. Genève, 3 avril 2009
Fabrice Midal. Genève, 3 avril 2009

«Je n’ose presque plus dire que je suis bouddhiste.» Etonnante, cette déclaration dans la bouche d’un philosophe qui a pourtant consacré plusieurs livres au bouddhisme, une religion bénéficiant par ailleurs d’un fort capital de sympathie en Occident. Mais Fabrice Midal n’est pas un tiède. Et il déplore le fait que le bouddhisme soit souvent perçu, et vécu, comme une forme de spiritualité égoïste destinée à sécuriser les hommes, à les installer dans un confort et un bien-être mortifères et à leur éviter la souffrance. Dans son dernier livre*, qui vient de paraître, il invite au contraire à affronter la réalité telle qu’elle est, et indique un chemin de liberté, hors des carcans religieux. Il trace un sentier original dans la forêt des spiritualités contemporaines. Un sentier balisé par des repères qu’il a puisés dans la poésie et dans l’art, seuls lieux où l’homme moderne peut encore, selon lui, faire une expérience d’éveil susceptible de le mettre sur la voie d’une spiritualité authentique.
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Tout de noir vêtu, mais avec une touche d’originalité: une cravate fuchsia à pois. Fabrice Midal détonne dans le cadre chic de cet hôtel genevois où les costumes austères abondent. Chargé de cours à l’Université Paris VIII et fondateur de l’association Prajna & Philia, il vient régulièrement enseigner la méditation à Genève. Il se raconte, le temps de savourer (longuement) un thé.

Né en France en 1967, il s’est senti très vite en lien avec l’essentiel. «A l’école j’étais un très mauvais élève. Je ne comprenais pas de quoi il s’agissait. Rien de ce qu’on me disait ne concernait l’existence. L’école ne transmet que des connaissances, elle n’apprend pas à être.» Etre. Voilà l’essentiel. Voilà pourquoi Fabrice Midal a toujours aimé les épopées et les récits de chevalerie, «qui donnent une perspective de vie». «L’être humain est appelé à quelque chose de grand, mais notre éducation oublie l’homme.» Y compris l’éducation religieuse. Celle qu’a reçue le philosophe au sein de sa famille juive et au Talmud Torah ne lui a pas convenu. «Cet enseignement ne me faisait pas vivre. Alors je passais mon temps à aller voir des tableaux dans les musées. La vie devenait enfin possible.»

A l’âge adulte, la rencontre avec la pensée du maître bouddhiste Chögyam Trungpa et la méditation a été décisive. Fabrice Midal avait trouvé sa voie. Mais toute tradition religieuse, même celle qui semble la plus libre, peut devenir enfermement si l’on n’y prend pas garde. Dans son livre, Fabrice Midal fait ainsi cette curieuse confession: «La poésie m’a sauvé du bouddhisme.» A trop entendre les mêmes discours sur la vacuité, la compassion et le bonheur, répétés sans ferveur ni véritable conviction, il s’éloignait de lui-même. Il était en train de revêtir une identité qui devenait comme un vêtement trop étroit. Mais l’expérience de la poésie lui a permis de chasser tout dogmatisme étouffant. «Au­jourd’hui, nous sommes sans nom, dit-il. Nous souffrons de n’être que des numéros, et du fait que plus aucune parole ne s’adresse à nous. Or l’œuvre d’art nous interpelle. Elle nous parle dans un langage non utilitaire, elle nous fait respirer. La poésie est ainsi l’espace propre d’une parole qui enfin s’adresse à nous.»
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La vérité, c’est la poésie en ce qu’elle a de prophétique. «Les poètes sont les plus grands maîtres spirituels de notre temps», affirme le philosophe. C’est pourquoi tout homme qui aspire à la liberté peut trouver son chemin en suivant les étoiles que sont certains grands artistes. Dans son livre, Fabrice Midal invite ainsi à découvrir le chemin de Cézanne: «Nous sommes coupés de nous-même, nous ne savons plus ce que nous voulons ni ce que nous sentons, dit-il. Les repères traditionnels ont disparu. C’est à la fois une catastrophe et une chance. On ne peut pas échapper à l’aventure moderne, qui est celle de Cézanne.» Ce chemin ne s’appuie pas sur l’enseignement des religions, devenu inaudible car incapable de saisir la vérité de notre temps, mais sur l’instinct spirituel profond de l’homme. A l’instar du peintre, chaque homme est appelé à abandonner les habitudes et les règles qui le conditionnent pour poser un nouveau regard sur le monde et découvrir son ampleur. «Nous sommes aveuglés. Nous devons faire un effort pour voir les choses telles qu’elles sont», dit le philo­sophe.

«Une vie humaine, c’est une vie qui risque la liberté, poursuit-il. Tout le monde en parle, mais personne ne la veut vraiment. Nous vivons dans un monde totalitaire. Tout le monde écoute la même musique, met les mêmes vêtements, mange la même chose. Cette uniformité tue l’humain.» Il faut avoir le courage de quitter les autoroutes toutes tracées et retrouver le goût de l’aventure. Accepter de vivre dans le risque permet de connaître la joie et l’embrasement du cœur. La vie facile et la «sérénité mièvre» ne sont pas dignes de l’être humain. «La spiritualité n’est pas un refuge, mais une épreuve de dénuement», dit le philosophe. Ne pas fuir les difficultés, affronter les démons: il n’y a pas d’autre chemin. Fabrice Midal aime citer Rainer Maria Rilke – une étoile, lui aussi – à ce propos: «Comment oublier ces mythes antiques que l’on trouve au début de l’histoire de tous les peuples; les mythes de ces dragons qui, à la minute suprême, se changent en princesses? Tous les dragons de notre vie sont peut-être des princesses qui attendent de nous voir beaux et courageux. Toutes les choses terrifiantes ne sont peut-être que des choses sans secours, qui attendent que nous les secourions.»
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–  Risquer la liberté. Vivre dans un monde sans repères, Seuil, 234 p


Par Patricia Briel

Source : www.letemps.ch

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