La rencontre a des allures protocolaires mais demeure tout à fait unique en son genre. Ce lundi 19 juillet, le Berlaymont, siège de la Commission européenne à Bruxelles, accueillera des figures inhabituelles : pasteurs, évêques, rabbins, imams et métropolites. Au total, 24 dignitaires religieux de toute l’Europe et de toutes confessions.
Comme chaque année, ils sont conviés à quatre heures de réunion avec les plus hautes personnalités de l’Union : José Manuel Barroso, président de la Commission, Herman Van Rompuy, président du Conseil européen et Jerzy Buzek, président du Parlement européen.
Après le changement climatique l’an dernier, le thème de la rencontre porte cette fois sur la lutte contre la pauvreté, à laquelle l’année 2010 est dédiée en Europe. En pratique, après la rituelle «photo de famille» de tous les participants, chaque invité disposera de deux minutes pour lire son intervention, qu’il s’agisse de l’archevêque de Budapest, le cardinal Péter Erdö, de Dalil Boubakeur, recteur de la Grande Mosquée de Paris, ou du grand rabbin de France, Gilles Bernheim, entre autres participants. Après une conférence de presse, où toutes les personnalités religieuses se serrent sur un podium derrière les dirigeants européens, la rencontre annuelle s’achèvera par un déjeuner de travail plus informel.
Le tout laisse un goût de trop peu dans les rangs catholiques, où l’on redoute que la rencontre ne prenne un tour trop « folklorique ». La brièveté des interventions successives n’est pas seule en cause. L’Église catholique accepte volontiers l’œcuménisme de la réunion, mêlant catholiques, réformés, orthodoxes et anglicans. Tout comme le fait d’associer les trois grandes religions monothéistes.
Mais l’élargissement de la rencontre, pour la première fois cette année, à un représentant de la communauté hindoue et à un autre de la communauté sikhe pose la question du poids respectif de ces confessions en Europe au regard de celles plus ancrées sur tout le continent. En clair, l’Église catholique estime ne pas devoir jouer dans la même division. En son sein, on craint que le sommet annuel ne verse dans le « religieusement correct ».
« Les sikhs forment une communauté importante en Grande-Bretagne », justifie Michel Praet, conseiller d’Herman Van Rompuy. « L’an prochain, la rencontre pourrait s’ouvrir au bouddhisme » , poursuit-il. Bien que la tradition d’un dialogue Europe-Églises remonte aux années 1990, l’identité des participants à convier reste un vrai casse-tête.
« Côté musulman, c’est compliqué de savoir quel invité peut représenter l’islam en Europe » , reconnaît une source bruxelloise. L’an dernier, des représentants juifs avaient boycotté la réunion à cause de la présence de Tariq Ramadan, intellectuel controversé. Il faut aussi veiller à un équilibre européen Est-Ouest et Nord-Sud.
Il convient aussi de ménager les organisations laïques, pour l’essentiel de Belgique, qui contestent le principe même d’une telle rencontre. Une réunion similaire à celle d’aujourd’hui est envisagée le 15 octobre avec les grands maîtres de loges maçonniques et des représentants d’associations de libres-penseurs, toujours sur le thème de la lutte contre la pauvreté.
Cette sorte de contre-sommet ne répond pas au seul souci européen de neutralité. Il s’agit désormais d’une obligation légale, le traité de Lisbonne prévoyant en effet un dialogue, non seulement avec les Églises, mais aussi avec les « organisations philosophiques et non-confessionnelles ».
L’obligation pour l’UE de « (maintenir) un dialogue ouvert, transparent et régulier » est cependant d’abord considéré comme un atout par les Églises elles-mêmes. Elles savent pouvoir compter actuellement sur Herman Van Rompuy et José Manuel Barroso, qui se définissent comme catholiques, sur Jerzy Buzek, protestant affiché, ou encore sur le vice-président du Parlement européen chargé du dialogue avec les Églises, Laszlo Tokes, lui-même évêque réformé.
Le nouveau traité européen offre aux églises l’assurance que les dirigeants européens, quelles que soient leurs convictions, poursuivront les rencontres jusqu’alors soumises à leur bon vouloir et n’engageant qu’eux. Le traité permet aussi aux Églises de ne pas être confondues avec des lobbys.
Reste à définir concrètement ce qu’implique ce « dialogue ouvert, transparent et régulier ». Du côté des institutions européennes, le sujet n’a pas encore fait l’objet d’une réflexion aussi poussée qu’à la Comece, la représentation des épiscopats catholiques européens, et à la conférence des Églises européennes (CEC), fédérant les autres cultes chrétiens. Ces deux organisations ont adressé une lettre commune en mai dernier détaillant leurs idées. Pour elles, il faut, en amont et en aval de la rencontre annuelle au sommet, nourrir un dialogue franc directement entre experts des Églises et hauts fonctionnaires européens.
À l’instar des « séminaires de dialogue » montés sur des thèmes sur lesquels travaillent les institutions de l’Union européenne : climat, flexisécurité, services sociaux de santé ou encore migration et éducation. Les Églises chrétiennes estiment ainsi faire la démonstration de leur « contribution spécifique », selon les termes du traité de Lisbonne. Elles voudraient agir de même auprès d’agences spécialisées de l’UE, comme l’agence européenne des droits fondamentaux, ou avec le futur service diplomatique européen.
Source: La Croix