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Thaïlande — L’inégalité comme fondement de la société

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Il faut se rendre à l’évidence, les droits de l’homme en Thaïlande sont dans une mauvaise passe. Les traitements inhumains que l’armée aurait infligés aux réfugiés rohingyas ont été dénoncés par les organisations internationales et révélés au reste du monde par les médias étrangers. Le gouvernement Abhisit s’ingénie à rétablir la réputation d’une Thaïlande gardienne des droits de l’homme. Il a ainsi autorisé le haut-commissaire aux réfugiés de l’ONU et des organisations non gouvernementales à enquêter sur cette affaire.

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On peut toutefois se demander dans quelle mesure le gouvernement s’attaque au fond du problème. Bien que la Constitution défende les libertés et le droit à la dignité humaine, il n’est pas certain que le peuple thaïlandais ait vraiment intégré la notion de défense des droits de l’homme. Car il est sûr que la Thaïlande ne partage pas exactement la conception des droits de l’homme qui prévaut dans les pays occidentaux. Le soutien de l’ensemble de la population à la guerre contre la drogue menée par l’ancien Premier ministre Thaksin Shinawatra en 2003, opération qui s’est soldée par l’exécution sommaire de plus de 2 500 sus­pects, est révélateur à cet égard. De même, en dépit des quelque 3 000 personnes tuées [depuis 2004] dans le sud du pays, des pans entiers de la société, essentiellement des bouddhistes ultranationalistes, n’ont guère témoigné de sympathie à la minorité musulmane. La marginalisation des musulmans reste une réalité, dans un pays dont l’identité nationale s’est construite autour des valeurs associées au fait d’être thaï. Cette vision étriquée de la nation n’a jamais permis à la société thaïe d’offrir un terrain favorable aux droits de l’homme.

Ces exemples montrent bien que le manque de compréhension n’est pas seulement présent dans les cercles du pouvoir, mais qu’il est partagé par la majorité de la population. La conviction que tous ont des droits égaux n’existe pas en Thaïlande : l’égalité n’a jamais fait partie de la mentalité thaïlandaise. La société s’est formée sur une structure hiérarchique. Sous le régime féodal, aux différentes classes correspondaient des droits différents. Et, au sein d’une même classe sociale, les hommes jouissaient de davantage de droits que les femmes. L’égalité des droits n’a jamais été vraiment revendiquée, dans la mesure où les gens évoluant dans ce système de classes complexe se satisfaisaient de leur place dans la société, quelle qu’elle soit.

Le sens même du mot “Thaïlande” – “pays des hommes libres” – est illusoire [cette étymologie est contestée par certains, qui y voient une interprétation erronée, produit de la fierté de la Thaïlande, seul pays de la région à ne pas avoir été colonisé]. L’esclavage a été aboli voici un siècle, mais les Thaïlandais sont restés emprisonnés dans une structure sociale rigide au sein de laquelle leurs droits ont souvent été bafoués. Le déni des droits de l’homme est devenu officiel pendant les années de dictature militaire [qui a duré une bonne partie de la seconde moitié du XXe siècle].

Aujourd’hui, le paysage politique de la Thaïlande a énormément changé. Mais un élément perdure : le déficit en matière de droits de l’homme. Différentes formations politiques s’estiment brimées par les autorités, si bien que la lutte pour le pouvoir est devenue acharnée. Paradoxalement, ceux qui cherchent à exercer leurs libertés voient leurs droits bafoués encore davantage. L’intention d’alourdir les peines pour les crimes de lèse-majesté [un amendement fixant la peine maximale encourue à vingt-cinq ans, au lieu de quinze, a été rédigé par des parlementaires de la majorité] illustre la manière dont la législation est utilisée comme une arme contre l’opposition, laquelle se retrouve ainsi privée de toute liberté politique. Ceux qui soutiennent cette loi anachronique font valoir implicitement que tout changement radical, comme l’abolition pure et simple du dispositif, déstabiliserait l’ensemble du corps social, fondé sur des divisions de classe, de titre et de richesse.

Les tenants du statu quo sont enclins à croire que ce qu’on appelle “droits de l’homme” n’a jamais existé dans cette société – et que par conséquent il ne faut rien y changer. Dès lors, si l’actuel gouvernement veut sincèrement trouver une solution à l’actuelle crise des droits de l’homme, il va devoir s’attaquer au système social thaïlandais, à ses valeurs sociales, aux structures des relations entre les individus, ainsi qu’à un système politique qui pérennise la privation de droits pour la population. La page de cette crise ne sera jamais définitivement tournée tant que les droits de l’homme ne feront pas partie intégrante de notre identité.


Source: Bangkok Post, traduit par Courrier International

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