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Le mauvais frère d’Aung San Suu Kyi

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09.02.2010

Le Prix Nobel de la paix a, une fois de plus, maille à partir avec la justice. Mais l’affaire que ses avocats vont devoir défendre est quelque peu triviale. Le frère de leur cliente s’oppose à la conduite de réparations dans leur maison familiale. La junte au pouvoir ne serait pas complètement étrangère à la querelle.

Aung San Suu Kyi (le bébé à gauche) est la fille du leader de la libération birmane, le général Aung San. C’est lui qui a négocié l’indépendance de la Birmanie en 1947. Elle a deux frères dont l'un est mort accidentellement alors qu'elle était encore enfant.
Aung San Suu Kyi (le bébé à gauche) est la fille du leader de la libération birmane, le général Aung San. C’est lui qui a négocié l’indépendance de la Birmanie en 1947. Elle a deux frères dont l’un est mort accidentellement alors qu’elle était encore enfant.

Depuis qu’elle est assignée à résidence dans sa maison délabrée de Rangoon, Aung San Suu Kyi, chef de l’opposition à la junte birmane, a connu l’isolement, la frustration et le chagrin. Les efforts déployés inlassablement par ses avocats en vue de la libérer sont restés vains. Mais, cette semaine, ces derniers vont retourner au tribunal pour l’une des affaires les plus étranges qu’ils aient jamais eu à plaider : ils font appel d’une décision de justice interdisant à Mme Suu Kyi de faire des travaux dans sa maison, pourtant en très mauvais état. Une affaire d’autant plus étonnante que l’homme qui tente d’empêcher la lauréate du prix Nobel de réparer son toit n’est autre que son frère, qui vit aux États-Unis.

Cette bagarre improbable entre Mme Suu Kyi et Aung San Oo, son seul frère encore en vie, remonte à 1988, quand leur mère, Khin Kyi, vivant dans cette maison blanche de style colonial située rue de l’université à Rangoon, a eu un accident vasculaire cérébral. La santé de leur mère, épouse d’Aung San, figure de l’indépendance, et ancienne ambassadrice de Birmanie en Inde et au Népal, s’étant aggravée, Mme Suu Kyi est rentrée en Birmanie (elle résidait à Oxford) pour s’occuper d’elle. Neuf mois plus tard, sa mère a une nouvelle attaque. Elle meurt fin décembre, alors que le mouvement pour la démocratie, encore à ses débuts, venait d’organiser des manifestations dans tout le pays, qui s’étaient soldées par la mort de près de 6 000 militants. Mme Suu Kyi avait rencontré des étudiants contestataires quand ils amenaient leurs camarades blessés à l’hôpital où elle veillait sur sa mère. Ainsi, de proche en proche, elle avait pris fait et cause pour le mouvement. Elle avait commencé à prendre la parole devant des foules immenses et ne tarda pas à être reconnue comme la digne héritière de son père, la nouvelle championne de la liberté en Birmanie [ou Myanmar comme elle venait d’être rebaptisée].

Myanmar_suuKyi_1.jpgSelon l’avocat de Mme Suu Kyi, M. San Oo a assuré qu’elle pourrait continuer à vivre dans la maison familiale aussi longtemps qu’elle le voudrait, à ceci près qu’en cas de vente elle ne recevrait que la moitié de la transaction. Cette question n’a plus été évoquée jusqu’en 2000, lorsque le frère de Mme Suu Kyi, qui avait alors pris la nationalité américaine et émigré vers la Californie avec son épouse birmane, a engagé une action en justice devant la Haute Cour de Rangoon pour demander que la maison soit divisée. A cette occasion, les avocats de Mme Suu Kyi ont réussi à déjouer les projets de son frère, mais dès l’année suivante M. San Oo lui intentait un nouveau procès. L’affaire suit son cours. Le comportement de cet ingénieur de 64 ans contrarie bon nombre des partisans de Mme Suu Kyi. La semaine dernière, une organisation de moines bouddhistes a annoncé avoir « excommunié » M. San Oo, lui interdisant de faire des offrandes, qui, pour les bouddhistes de l’école Theravada, permettent aux fidèles de les aider à accéder au nirvana. Une décision vouée à faire grand bruit dans un pays aussi pieux que le Myanmar. En prenant cette sanction religieuse à l’encontre de M. San Oo et de sa femme, l’Organisation des moines de Birmanie en a fait des parias. En 2007, des groupes de moines avaient ainsi ostracisé de hauts responsables de la junte birmane et ordonné à tous les moines de refuser leurs aumônes. Cette organisation a déclaré qu’elle avait adressé un message à M. San Oo, l’enjoignant de renoncer à ses poursuites judiciaires avant le 31 janvier. Face à son silence, les moines ont mis leur menace à exécution.

Reste à savoir quelles sont les réelles motivations du frère de Mme Suu Kyi. En 2000, quand il a intenté son premier procès à sa sœur, beaucoup ont affirmé qu’il était téléguidé par la junte birmane. En effet, il semblerait que M. San Oo ait bénéficié de privilèges de la part du régime. En 2005, on apprenait qu’il se faisait construire une maison près de la cité antique de Bagan. Alors que la loi birmane interdit aux étrangers de posséder des biens immobiliers au Myanmar, le frère de Mme Suu Kyi avait obtenu un permis de construire, signé en haut lieu, et il avait l’intention de passer l’hiver dans sa propriété. Mme Suu Kyi elle-même n’a pas fait le moindre commentaire sur l’offensive judiciaire menée par son frère. On peut supposer que c’est pour elle une grande source de tristesse et d’indignation, même si l’excommunication de la semaine dernière aura au moins le mérite de la rassurer quant au fait que la plus puissante institution après l’armée – la Sangha [communauté] bouddhiste, qui a pris la tête de la « révolution de safran » en 2007 – lui apporte toujours un soutien sans faille.


Andrew Buncombe

Source : www.courrierinternational.com (The Independent)

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