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Matthieu Ricard : ‘Démystifier la méditation’

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21.10.2008

Après avoir fait de la recherche en génie cellulaire, vous avez embrassé le bouddhisme, et vous êtes l’interprète en français du dalaï-lama. Pourquoi avoir consacré un livre à la méditation ?

La méditation, cela ne veut rien dire en soi : on médite sur quelque chose. Ce n’est pas faire le vide dans son esprit, ce n’est pas se relaxer, c’est cultiver, développer certaines aptitudes, certaines facultés.

AFP/MYCHELE DANIAU
AFP/MYCHELE DANIAU

Ayant vécu quarante ans dans l’Himalaya où j’ai médité 40 000 heures, je me suis retrouvé, en 2000, projeté dans la recherche en neurosciences. Un peu comme un cobaye, pour inspirer d’autres « méditants » à participer à ces recherches, mais aussi en temps que collaborateur, pour étudier ce qui se passe dans le cerveau. L’objectif est de comprendre comment un individu qui a la maîtrise de son esprit va diriger cet esprit, entrer ou sortir de l’état de méditation, focaliser son attention, pendant quarante-cinq minutes, sans être distrait. Le cobaye décrit avec une grande précision ce qu’il a fait. Je vais trois ou quatre fois par an dans les laboratoires, j’ai dû l’équivalent de 200 ou 300 heures d’IRM (imagerie par résonance magnétique). Richard Davidson, un grand scientifique, avec qui ces travaux ont commencé à Madison, dans l’Etat de Wisconsin (Etats-Unis), a tenu à ce que je sois cosignataire du compte rendu pour bien marquer le fait que les méditants sont des collaborateurs à part entière.

Que montrent ces recherches des bienfaits de la méditation sur la santé ?

Avec l’IRM, l’électroencéphalo-gramme, la présence de cortisone dans la salive qui mesure le stress, on note les différences entre un état au repos et un état méditatif, entre des sujets entraînés ou non. Ces travaux donnent des résultats significatifs sur le renforcement du système immunitaire, la diminution de l’anxiété, de la colère, de la tendance à la dépression, pour ne citer que cela, et puis sur de nombreux aspects cliniques, comme l’accélération de la guérison du psoriasis ou encore la baisse de la tension artérielle.

Les travaux sur la pleine conscience – être pleinement conscient de ses sensations – ont démontré son efficacité sur la réduction du stress et de la rumination mentale. On commence à parler des neurosciences contemplatives comme d’une nouvelle branche de recherche à part entière. Surtout aux Etats-Unis, mais aussi à Zurich (Suisse) et à Maastricht (Pays-Bas), où sont étudiées, en laboratoire, l’empathie et la compassion.

L’empathie, c’est se mettre en résonance avec les émotions et les sentiments de quelqu’un. Vis-à-vis de la joie : quelqu’un est joyeux, cela déteint un peu sur vous comme une contagion. Ou vis-à-vis de la souffrance. Les aires du cerveau qui sont activées sont les mêmes : vous éprouvez de la souffrance en sachant de manière cognitive que ce n’est pas vous, mais la souffrance est réelle et indistincte de votre propre souffrance.

Ces travaux ont montré que si on ajoute une sorte d’amour inconditionnel, une bienveillance, cela pallie les effets de l’empathie qui engendre la détresse.

Comment définissez-vous la méditation ?

J’ai voulu faire un livre sur les techniques de méditation pour la démystifier, pour dire à quoi elle sert, sur quoi méditer et comment méditer. J’ai décidé d’expliquer pourquoi cela valait la peine de transformer son esprit. On fait plein de choses pour la beauté physique. Et notre esprit, cette espèce de garnement, ce singe qui n’en fait qu’à sa tête, qui n’arrête pas de bouger, on le laisse en friche, dans l’état le plus sauvage.

La méditation, c’est transformer la manière dont fonctionne notre esprit, non pas pour le museler. Les gens confondent la maîtrise de soi et le contrôle de l’esprit. J’aime bien prendre l’image du marin dont la liberté serait de ne pas toucher le gouvernail, de laisser son bateau aller au gré des vents et des courants. Cela ne s’appelle pas naviguer, mais dériver.

La méditation n’est-elle pas une pratique plutôt étrangère à la culture occidentale, donc difficile d’accès ?

Cela n’a aucun sens d’opposer Occidentaux et Orientaux. La méditation, c’est l’entraînement de l’esprit. On dit : « Je suis comme ça, c’est à prendre ou à laisser. » L’idée qu’on ne peut pas se transformer me paraît une attitude extrêmement défaitiste et un peu paresseuse. La méditation, cela n’a rien d’oriental : c’est transformer son esprit, c’est-à-dire la façon dont, du matin au soir, on fait l’expérience du monde.

Ce n’est pas quelque chose de mineur. C’est la qualité de chaque instant de l’existence qui dépend de la façon dont fonctionne notre esprit, de la façon dont on est, ou non, le jouet d’émotions destructrices, de la distraction permanente, des hauts et des bas absolument incontrôlables et excessifs, comme de passer de l’euphorie à la dépression. Cela vaut la peine qu’on mette un peu d’ordre là-dedans. Il ne s’agit pas de faire des choses extraordinaires, il ne s’agit pas de léviter, ni d’acquérir la transmission de pensée, mais de vivre de façon optimale.

La méditation, ce n’est pas faire du body-building mental mais atteindre un état optimal de bonne santé. L’optimal, c’est la paix intérieure, la force d’âme, c’est une forme de confiance, d’altruisme, de compassion. C’est une manière d’être, et les manières s’apprennent. On apprend tout dans la vie, pourquoi n’apprendrait-on pas à mieux faire fonctionner son esprit ?

La méditation peut-elle être une pratique strictement laïque ?

La méditation, comme le dit le dalaï-lama, peut faire partie d’une spiritualité laïque. La particularité des bouddhistes a été, depuis 2 500 ans, de faire des investigations sur la façon dont fonctionne l’esprit. Par esprit, j’entends le flot de la conscience. Ils ont une compréhension très subtile des mécanismes mentaux, et cela n’a rien de religieux. Lors d’une rencontre à Boston (Massachusetts), entre le dalaï-lama, des méditants et les scientifiques d’Harvard, Steven Kosslyn, en charge de la chaire de psychologie, a commencé son intervention par une déclaration d’humilité devant la masse de données – empiriques – qu’apportent, dans le domaine de la psychologie, les contemplatifs.

Comment, en France, trouver un instructeur ?

Il y a un problème de compétences, peu de guides qualifiés, et le lobby des psychanalystes qui bloquent le milieu académique. Comme il n’y a pas de thérapie cognitive enseignée dans les universités, les gens se rattrapent sur des coaches qui n’ont pas de formation, c’est la foire d’empoigne. David Servan-Schreiber, Boris Cyrulnik apportent une vision un peu différente des choses. Les mouvements liés aux thérapies cognitives et les techniques de Jon Kabat-Zinn sont développés avec succès, dans plus de 200 hôpitaux américains, pour diminuer les douleurs postopératoires et celles associées au cancer et autres maladies graves.

En France, certains centres hospitaliers commencent à utiliser ces méthodes : à Lyon, Patrick Lemoine et Frédéric Rosenfeld, et, à Paris, Christophe André, à Sainte-Anne, qui travaille sur les phobies. Mais, cela reste très mal vu et on est nettement en retard par rapport à l’Angleterre et l’Amérique.

Pourquoi se priver de remèdes simples et efficaces ? L’entraînement de l’esprit c’est avoir à faire avec ce dont nous sommes tous dotés, du début à la fin de notre vie, et dont on s’occupe si mal.


« L’Art de la méditation », de Matthieu Ricard, NiL éditions, 149 pages, 12,50 €.

Propos recueillis par Florence Evin

Source : www.lemonde.fr

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