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Vivre le Soufisme au féminin

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Vivre le soufisme au féminin

Témoignages


Quand on rencontre Anne, Martine ou Carole, on n’est d’abord frappé d’avoir affaire à des personnes tout à fait  » comme les autres « . Aucun signe extérieur ne laisse augurer de leur démarche. Pourtant, ces femmes, souvent jeunes, sont engagées dans une voie soufie et se retrouvent très régulièrement pour effectuer ensembles leurs pratiques spirituelles.

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Anne, 34 ans, commerçante, explique que les femmes ont toujours occupé une grande place dans le soufisme et que « cette tradition n’a jamais fait de descrimination entre les possibilités de réalisation intérieure féminine et masculine ». Elle nous apprend cependant que, d’un point de vue pratique, le soufisme comporte certaines particularités : « Les prières rituelles ne sont pas tout à fait les mêmes pour les hommes que pour les femmes (1). De plus, nous accomplissons périodiquement certaines réunions au cours desquelles les femmes et les hommes constituent deux assemblées séparées ayant chacune leur autonomie propre. »

Pour Martine, 21 ans, étudiante, le contact avec cet enseignement a été si fulgurant qu’elle ne s’est d’abord posé aucune question au sujet de la place des femmes. « Au départ, j’étais tellement touché parce que j’avais découvert que je n’ai rien mentalisé. C’est un peu après que j’ai commencé à me poser certaines questions ». La séparation entre hommes et femmes lors de certaines pratiques a été le premier et non le moindre objet de sa réflexion. « La non mixité au cours de certains rites m’a beaucoup interpellée voire perturbée. Dans mon idée, les femmes et les hommes étaient égaux et devaient avoir exactement les mêmes places, faire les mêmes choses et ce, toujours dans une optique de parité. Or, si au départ je refusais moi-même cette séparation hommes/femmes, je me suis aperçue que l’énergie provenant des pratiques pouvait être vécue différemment suivant le sexe et je me sentais beaucoup plus à l’aise avec les femmes. Là, j’ai commencé à beaucoup réfléchir. À travers cette perception, c’était toute ma manière d’envisager l’homme, la femme et leurs rapports qui était remis en question. J’ai en fait réalisé qu’égalité ne voulait pas dire similitude, qu’on était très différent à de multiples niveaux : dans la manière d’aborder les choses, la sensibilité …Comme s’il y avait une coloration féminine et une coloration masculine. Cela était déstabilisant car contraire à ce que j’avais toujours entendu jusque-là » .

Manifestement ces femmes se défendent de voir dans le respect des prescriptions issues d’une tradition séculaire un obstacle à leur épanouissement intérieur. Sabine, 26 ans, explique « On a inclus dans la dénomination de tradition spirituelle beaucoup de choses qui ne lui ne correspondent pas. On a beaucoup confondu aussi mode de vie, coutumes, voire déviances idéologiques avec une tradition authentique. En particulier l’image de l’Islam en Occident souffre beaucoup de ces confusions. Je crois qu’il est vraiment dommage de s’arrêter à ses assimilations. L’histoire du soufisme montre suffisamment la possibilité d’une spiritualité féminine extrêmement forte, laquelle est, en outre, très vivante aujourd’hui encore ».

Assia, 28 ans, institutrice, est née en France de parents marocains. Elle confie que pendant très longtemps elle a rejeté la religion de ses parents car « ce qu’on me proposait me paraissait vide de sens » . La rencontre avec des jeunes femmes occidentales engagées dans le soufisme a bouleversé sa vie. « J’ignorais tout de cette voie, comme beaucoup de musulmans de naissance d’ailleurs. Au contact de ces jeunes femmes qui avaient le même âge et le même langage que moi, j’ai peu à peu compris qu‘il y avait toute une dimension de ma tradition d’origine qui m’avait jusque-là échappé »

Carole, 30 ans, conseiller juridique, n’a pas accepté spontanément tous les éléments du cadre rituel de cette voie. « Les premières fois ou j’ai assisté à des assemblées, nous confie- t- elle, j’ai choisi de ne pas mettre de voile (2), car cela me paraissait superflu et contraignant… Intérieurement, j’ai cependant ressenti tres vite la nécessite de le porter. J’en avais besoin comme lorsque l’on met un habit particulier ou comme si c’était un moyen de sacraliser la circonstance. J’avais surtout la sensation très forte qu’il me permettait d’entrer davantage en moi-même, de préserver une intimité aussi. Au bout de quelques semaines, je n’envisageais plus de ne pas le porter au cours de ces réunions, comme si j’étais nue sans lui. »

Force est de constater que pour beaucoup de ces femmes le cheminement correspond à un éveil à elles-mêmes au travers d’une véritable redécouverte de leur féminité. « J’ai l’impression de retrouver en moi quelque chose de très fort, de très beau, de me redécouvrir en tant que femme et, j’espère future mère. Je suis très heureuse de cette sensation », témoigne Martine.

Evelyne acquiesce tout en précisant : « Vivre la spiritualité soufie dans le monde actuel ne veut pas dire s’arrêter de travailler, rester au foyer ou revenir à un mode de vie qui était finalement celui de nos grands parents. Je crois que vivre en résonance avec une tradition est beaucoup plus subtil que cela. Il ne s’agit aucunement de s’interdire d’exploiter nos ressources et nos compétences. Nous sommes même soucieuses d’exprimer et de vivre pleinement nos aspirations tant au plan professionnel qu’a tout autre niveau. Simplement, ce qui est vécu intérieurement sacralise notre regard sur la vie ; Notre expérience spirituelle transforme notre manière d’être, notre relation aux autres, au mariage, aux enfants… Cette perception nous amène à reconsidérer notre vie de femme , à remettre les choses à leur véritable place, qui n’est pas forcément la même pour toutes d’ailleurs ».

« Sur cette base, chacun s’implique en fonction de ses possibilités et de son besoin intérieur. Rien n’est imposé au disciple, chacun est libre et responsable de son cheminement », explique Hélène, 41 ans. « D’ailleurs pour moi, l’intégration des différentes pratiques de la voie a pris un certain temps. Le temps nécessaire pour qu’un lien direct s’établisse notamment entre les pratiques de nature religieuse et ma recherche intérieure ».

Cette dernière réflexion paraît, symptomatique de la manière d’envisager le soufisme par les occidentaux : l’enseignement est foncièrement abordé par le vécu intérieur à partir duquel tous les autres aspects prennent place et signification.

Ces quelques entretiens ne permettent pas, bien entendu, de répondre abruptement et exhaustivement à la question posée : le soufisme est-il accessible aux hommes et aux femmes vivant dans le monde occidental moderne ? Le point de vue est en effet toujours celui du point de vue occidental de la confrérie consultée (3) .Ces entretiens n’ont donc pas valeur de représentativité pour l’ensemble des confréries existant actuellement sur le sol français. Ils témoignent cependant avec force que cet enseignement n’est pas, pour ces hommes et ces femmes, une démarche artificiellement plaquée sur leur vie quotidienne, mais au contraire un point d’ancrage essentiel dans leur quête intérieure.

Les confessions de ces disciples soufis, aussi étonnamment proches de nous, interrogent par ailleurs notre propre regard, nos préjugés sur le sens profond d’une tradition spirituelle telle que le soufisme. Au final, la notion soufie de « voie vivante, revêtue des habits de son temps », prend au contact de ces êtres une singulière résonance…

Notes : 1 – Il convient de préciser que cela ne concerne dans cette confrérie que les prières rituelles de l’Islam pour lesquelles la récitation des psalmodies coraniques s’effectue toujours à voix basse pour les femmes et à voix haute pour les hommes lors des offices du soir, du matin et de la nuit. Toutes les pratiques, propre à la confrérie (invocations de noms divins, chants sacrés) sont strictement identiques pour les hommes et les femmes. 2 – Pour ces femmes soufies, le voile constitue un vêtement rituel qu’elles portent uniquement au cours de leurs pratiques spirituelles. 3 – La confrérie en question est la voie Qadiryya Boutchich dont le maître spirituel vivant est sidi Hamza al Boutshishi al Qadiri. Cette voie s’est récemment développée en France par la constitution de groupes de disciples occidentaux.


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