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Les peuples indigènes des îles Andaman – Survival International

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Enfant Jarawa
Enfant Jarawa

En Amérique ou en Australie, il est aisé de définir les peuples indigènes : ce sont ceux qui peuplaient exclusivement ces terres avant leur colonisation, il y a seulement quelques siècles. Les peuples indigènes contemporains sont les descendants de ceux qui ont survécu aux massacres, aux maladies et à l’oppression, conséquences de la colonisation. Mais le continent asiatique a connu pendant près de 100 000 ans des vagues successives de migrations, de sorte que de nombreuses populations peuvent vivre dans la même région depuis des milliers d’années, sans en être pour autant les « premiers » habitants. La notion de peuple indigène se fonde alors sur un mode de vie dit « traditionnel ». C’est ce sens que nous adoptons ici pour aborder l’étude des tribus des îles Andaman et Nicobar.

Les Negrito



Peuples_indigenes
Peuples_indigenes
Les Negrito des îles Andaman – mais aussi de Malaisie, d’Inde, de Thaïlande ou des Philippines – sont les peuples d’Asie qui correspondent le mieux à ce critère : ils se distinguent de la société dominante par leur mode de vie et leur relation particulière à leur territoire. Des études récentes suggèrent que leurs ancêtres seraient arrivés d’Afrique il y a quelque soixante mille ans au cours de migrations vers l’Australie et la Nouvelle-Guinée, ce qui les classe parmi les tout premiers habitants de leur terre.

Leur physionomie est distincte de celles des peuples asiatiques qui les entourent ; plus petits et de couleur plus foncée, les Negrito ont des cheveux noirs crépus. 
Les langues de ces différentes tribus n’étant pas intelligibles entre elles, on peut penser que ces peuples ont vécu séparés les uns des autres après leur arrivée sur les îles. Certaines communautés sont aujourd’hui les plus isolées de la planète. Il y a en revanche de nombreuses similarités dans le mode de vie des Jarawa et des Sentinele, deux communautés qui n’ont pratiquement pas eu de contacts avec le monde extérieur. Nous savons que ce sont des chasseurs-cueilleurs nomades vivant en groupe de quarante à cinquante individus, chassant les porcs sauvages et les varans, pêchant à l’arc et à la flèche, récoltant les racines, les baies et le miel de la forêt. Ils utilisent une grande variété de végétaux locaux pour fabriquer leurs arcs, leurs lances, leurs huttes, des cordes et toutes sortes d’ornements ainsi que pour élaborer des substances médicinales. Si les dernières forêts humides des îles Andaman sont occupées par des communautés indigènes, cela n’a rien de fortuit : sans leur forêt, les tribus andamanaises ne pourraient survivre. Et réciproquement, la forêt pluviale aurait probablement déjà disparue si elle n’avait été peuplée par ces communautés.


En 1858, les Anglais fondèrent une colonie pénitentiaire sur les îles Andaman. Depuis, les peuples autochtones ont été l’objet d’attaques incessantes de leur part, puis de celle des colons indiens. Après cette période de colonisation, la population indigène qui s’élevait à près de huit mille personnes, ne compte plus aujourd’hui que quatre à huit cents individus, écrasés par une population majoritaire de trois cent cinquante mille habitants. Les îles sont à présent un territoire de l’Union indienne, administré directement par le gouvernement de New Delhi. L’Inde considère officiellement l’ensemble de sa population comme « indigène », mais l’État reconnaît néanmoins que certains groupes qu’elle appelle « scheduled tribes » sont plus particulièrement « tribaux ».

Les Grands Andamanais

À l’arrivée des Anglais il y a 150 ans, les Grands Andamanais représentaient une population de 5 000 personnes, ils ne sont plus aujourd’hui que 41. Les Andamanais se montrèrent très hostiles aux colons anglais qui abattaient la forêt, spoliaient leur terre et tuaient leur gibier. Face aux réactions violentes des tribus, les Anglais réagirent encore plus violemment et massacrèrent des centaines d’autochtones. Après plusieurs années, les colons cessèrent les combats pour utiliser d’autres méthodes tout aussi meurtrières. Dans la capitale Port Blair, ils établirent le « Refuge des Andamanais » où les autochtones faits prisonniers étaient détenus, mais où ils étaient relativement bien traités. On les renvoyait dans la forêt avec l’espoir qu’ils feraient part du traitement qu’ils avaient reçu. Cette politique eut les résultats escomptés – mais le Refuge des Andamanais se révéla ne pas être le havre de paix annoncé,  il devint un véritable instrument de génocide. Des 150 enfants nés dans ce refuge, aucun ne survécut au-delà de l’âge de deux ans. En 1901, il ne restait que 625 Andamanais, soit seulement 12 % de la population présente avant la colonisation. En 1931, ils étaient 90. En 1970, les autorités indiennes transférèrent la vingtaine d’individus restants sur l’îlot de Strait Island où ils dépendent depuis entièrement des subsides du gouvernement. Leur population a cependant recommencé à croître.

Les Onges



Les Onge s’autodénomment En-iregale, ce qui signifie « homme parfait ». Les femmes onge couvrent les hommes de terre glaise blanche lors de grandes occasions telles qu’un mariage ou la célébration d’une chasse réussie. La chasse aux porcs tient une place prépondérante dans la vie des Onge, son aspect pratique revêt également une signification culturelle et sociale. Pour que les rites d’initiation qui feront d’eux des hommes puissent avoir lieu, les garçons doivent capturer un porc mâle. Avec l’arrivée d’étrangers dans la région, le cheptel a diminué, ce qui rend aujourd’hui pratiquement impossible le mariage d’un grand nombre de jeunes. Bien qu’ils soient poursuivis par leur réputation de « primitifs » ayant grand besoin d’être « civilisés », les Onge, comme les autres populations andamanaises, maîtrisent parfaitement l’art de vivre dans leurs forêts tropicales. Le département de la Pêche du gouvernement indien avait affecté un inspecteur et deux pêcheurs chez les Onge pour leur enseigner les méthodes de pêche modernes. Les pêcheurs ne furent pas longs à reconnaître que c’étaient eux qui avaient beaucoup à apprendre des Onge sur la manière de pêcher dans leurs eaux. Il ne reste aujourd’hui que quatre-vingt-dix-neuf Onge ; la réserve qu’ils occupent sur la Petite Andaman, couvre moins du tiers du territoire qu’ils occupaient originellement. Leur population a, elle aussi, tragiquement diminué de plus de 85 % au cours de ce dernier siècle. À l’instar des Andamanais, les Onge, autrefois indépendants et auto-suffisants, ont été contraints d’accepter une situation de dépendance vis-à-vis de l’administration. Le gouvernement indien a établi une plantation et a tenté de forcer la population à y travailler pour obtenir nourriture et logement – ce qui aurait constitué une forme de servage ou d’esclavage. Mais la majorité des Onge a refusé de travailler dans la plantation et le gouvernement a dû poursuivre la distribution de rations. En décembre 2004, les soixante-treize Onge vivant à Dugong Creek ont survécu au tsunami en se réfugiant sur les hauteurs après avoir observé le mouvement de l’océan qui se retirait.

Les Sentinele

La population sentinele compte, à ce que l’on sait, entre 50 et 200 individus. Ils n’ont établi aucun contact amical avec le monde extérieur. Ils vivent sur leur propre île d’une superficie de 47 km2 et s’attaquent à quiconque s’en approche. Le gouvernement indien a vainement tenté, à plusieurs reprises, d’entrer en contact avec eux; dernièrement pourtant, aucune nouvelle tentative n’a eu lieu. Après le raz-de-marée, un hélicoptère survolant leur territoire a été pris pour cible par des Sentinele regroupés sur la plage, attitude qui laisse penser qu’ils ne n’ont pas subi de dommages trop importants.

Les Jarawa


Jarawa signifie « les étrangers » ou « les autres » dans la langue des Andamanais. Il semble que les Jarawa eux-mêmes se nomment Ya-eng-nga. À la différence des Onge et des Grands Andamanais, ils sont restés volontairement isolés des colons qui se sont installés sur leurs îles au cours des cent cinquante dernières années, faisant preuve d’une hostilité constante envers ces envahisseurs qui empiétaient sur leurs terres et chassaient leur gibier. En 1974, le gouvernement indien a établi un système mensuel de « groupes de contact » avec des Jarawa – mais les autochtones n’ont jamais autorisé les autorités à pénétrer dans leurs forêts ou à s’approcher d’eux par voie terrestre, et eux-mêmes se sont abstenus de toute visite. Vers la fin de l’année 1998, pourtant, les Jarawa ont commencé à sortir de leurs forêts pour se rendre dans les villages sans arcs ni flèches. De ce qu’il fut compris de leur langue encore mal connue, il apparut que la pression exercée par les braconniers qui sévissent le long des côtes avait contraint les Jarawa à se déplacer de plus en plus loin vers l’intérieur, ce qui les conduisit à la route principale et aux villages. 
Les conséquences négatives de cette interaction sont manifestes. De nouvelles maladies se répandent parmi les autochtones : en 1999, une épidémie de rougeole et de pneumonie a touché la moitié de la population. Les risques sont principalement dus à la présence de la « grande route andamane » qui traverse la réserve des Jarawa. Des rapports alarmants font état de l’exploitation sexuelle des femmes, de l’introduction d’alcool, de tabac et de nourriture dont les Jarawa deviennent de plus en plus dépendants. Les plus jeunes se sont mis à faire du troc pour se procurer des denrées alimentaires étrangères comme du tabac à mâcher ou de la feuille de bétel, substance hallucinogène. La route draine également des touristes qui constituent à leur tour une menace pour les Jarawa car, malgré les affiches et les panneaux où l’on peut lire « Attention aux Jarawa », « Ne laissez monter les Jarawa dans aucun véhicule » et « Ne donnez aucune nourriture aux Jarawa », établir un contact avec eux est devenu une source d’amusement. 


L’administration des îles Andaman tente de limiter les contacts entre les Jarawa et les usagers de la route, ce qui représente un réel progrès mais toutefois insuffisant pour la survie de la tribu. Les participants à une récente réunion sur l’avenir des Jarawa organisée par le gouvernement indien ont conclu que l’ingérence dans leur vie devait être modérée et que leur développement devait s’accomplir à leur propre rythme et dans la direction qu’ils auront eux-mêmes choisie. Pourtant, au sein même de l’administration, certains fonctionnaires restent en faveur de l’assimilation forcée. En 2003, le ministre des Affaires indigènes alors en fonction déclarait que son ministère prévoyait de « réformer les indigènes et les assimiler à la société nationale » parce qu’il n’était pas juste « de les laisser tels quels ». Un avocat indien a même entamé une procédure pour exiger qu’ils soient officiellement colonisés, arguant qu’il était « plus que temps de leur faire connaître la civilisation moderne ».

L’avenir

Les Jarawa, comme leurs voisins, ne sont ni « arriérés »  ni « primitifs ». Ils ne sont pas non plus des peuples « naturels » car tous possèdent des cultures nourries d’expériences aussi anciennes que les nôtres mais autrement orientées, autrement utilisées, élaborées toujours. Comme l’ensemble des peuples indigènes de la planète, ils sont différents parce qu’avant l’homogénéisation (relative) que nous connaissons aujourd’hui, toutes les cultures humaines ont eu un parcours, une histoire, différente. Tous ont donné un contenu différent aux éléments de base constitutifs et communs à toutes les sociétés, éléments – systèmes politiques, économies et techniques, systèmes de parenté, croyances religieuses, conceptualisations du monde – qu’elles ont diversement combiné et avec lesquels elles ont forgé des configurations, des structures sociales qui nous sont étrangères mais point incompréhensibles et qui, comme les nôtres, sont capables d’évolution.
La pression monte sans cesse pour que toutes ces tribus soient assimilées à la société indienne dominante – surtout dans le cas des Jarawa qui ont établi quelques premiers contacts amicaux. S’ils sont contraints de quitter leur territoire et de mener une existence sédentaire, les Jarawa se retrouveront dépendants de l’administration ; pour autant bien sûr qu’ils survivent aux maladies et au découragement, le prix que payent régulièrement les populations autochtones lors de tout processus forcé de sédentarisation.

Les droits des peuples andamanais doivent être reconnus et garantis – ils doivent pouvoir décider eux-mêmes de leur propre mode de vie et de leur avenir et doivent obtenir la propriété exclusive et le contrôle de leurs terres et de leurs forêts. À l’heure actuelle, la campagne de Survival en faveur des Jarawa a eu des répercussions considérables et plusieurs autorités indiennes ont pris des mesures conséquentes. La Haute Cour a provisoirement interrompu les projets du gouvernement local visant à sédentariser de force les Jarawa. La Cour Suprême a quant à elle ordonné en 2002 la fermeture de la route qui traverse leur territoire et qui amenait colons, coupeurs de bois, braconniers – et les maladies dont ils étaient porteurs. Elle a également interdit l’abattage de tout arbre sur les îles Andaman ainsi que le transfert hors de la région de tous les colons établis sur les terres indigènes ou dans les forêts. La décision n’est pourtant toujours pas respectée et la route est toujours ouverte mais tout récemment, en décembre 2004, la réserve des Jarawa a été officiellement agrandie de 180 kilomètres carrés, preuve que les autorités prennent conscience de l’importance du territoire pour la survie des Jarawa. Il est cependant à craindre que, depuis le raz de marée, en raison de la rareté des ressources, les Jarawa n’aient à souffrir du développement incontrôlé du braconnage et de la pression des autres populations des îles que les autorités ont du mal à contrôler. 

Survival International

www.survivalfrance.org

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