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Bien vivre sa Vie – Le Bouddhisme en tant que Pratique

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BIEN VIVRE SA VIE

LE BOUDDHISME EN TANT QUE PRATIQUE


Le bouddhisme

Bouddha-3.jpgLe bouddhisme est considéré comme l’une des grandes religions universelles. Mais qu’est-ce qu’une religion ? Les différentes religions et philosophies ne sont jamais parvenues à s’entendre sur une définition commune du mot « religion ». Ainsi, on devient catholique par un rituel (le baptême), juif par la naissance, humaniste libre-penseur (ce qui, pour certains, est aussi une religion) par conviction.

Mais comment devient-on bouddhiste ? Stephen Batchelor note que le terme « bouddhiste » n’existe même pas dans les langues asiatiques. Le problème réside dans le fait que nous avons tendance à considérer toutes les religions à travers le crible de celle que nous connaissons, le christianisme, et plus précisément encore celui de l’Église catholique. Le « bouddhisme » en tant que concept est une création de philologues occidentaux qui ont relevé des liens tant historiques que de contenu entre plusieurs textes et traditions « bouddhistes ». Cependant, lorsqu’un lama tibétain parle du bouddhisme, il ne parle pas de la même chose qu’un moine du Theravada. Jusqu’à une période récente, ils ne savaient d’ailleurs rien de leur existence respective. En fait, la rencontre des différentes traditions est un phénomène récent, et s’est déroulée en Occident. Il n’en reste pas moins qu’il existe des concordances importantes et essentielles entre les différentes traditions bouddhistes. Lorsque nous utiliserons le terme « bouddhisme » dans la suite de ce texte, ce sera pour faire référence non à une tradition spécifique mais aux éléments communs qui se retrouvent dans les différentes traditions et dans le bouddhisme occidental naissant.

Qui croire ?

Dans l’un des anciens textes bouddhistes 2, des villageois, les Kalamas, posent la question suivante au Bouddha : « Nous voyons constamment passer ici des enseignants. L’un après l’autre, ils nous affirment qu’ils prêchent la vérité et que les autres ne prêchent que des âneries. Qui devons-nous croire ? » Voilà une question qui n’a rien perdu de son actualité. Apparemment, en 2500 ans, les choses n’ont pas vraiment changé.

Le Bouddha répond : « Je comprends votre perplexité. Ne vous laissez guider ni par la tradition, ni par les écritures, ni par l’autorité, ni par la philosophie. »

En une phrase, le Bouddha fait table rase de ce que nous associons traditionnellement à la religion : tradition, magistère, philosophie, écritures… Le Bouddha ne veut pas dire par là que ces éléments posent problème, mais qu’ils ne sont pas en mesure de fournir des arguments probants pour ou contre une doctrine.

Sur quel argument peut-on alors s’appuyer ? Le bouddha poursuit : « Si vous constatez vous-même que la pratique d’une doctrine conduit à la souffrance, abandonnez-la. Si vous constatez vous-même que la pratique d’une doctrine conduit au bonheur, acceptez-la. »

La première chose qui frappe dans la réponse du Bouddha, c’est qu’il en appelle à la capacité inhérente à chacun de choisir et de juger par soi-même. C’est pourquoi, ce passage est parfois appelé la « charte » bouddhique du libre examen. Deuxième élément surprenant : il ne s’agit pas d’une théorie, d’une philosophie ou d’une croyance mais bien d’une pratique accessible à chacun. Le troisième élément réside dans le fait que ce sont les effets de cette pratique (souffrance ou bien-être) qui permettent de la valider.

Le bouddhisme n’est donc ni une croyance, ni une philosophie, ni une identité. Il s’agit d’une pratique qui a pour objet notre rapport à la souffrance. « J’enseigne la souffrance et la libération de la souffrance » 3, affirme le Bouddha. C’est ce qui s’exprime dans la formule des quatre nobles vérités. La première noble vérité est la réalité de la souffrance. Il s’agit là d’un constat très simple, et non d’un dogme. Nulle part il n’est dit que tout est souffrance. Il existe aussi beaucoup de choses joyeuses, mais la souffrance est également présente dans notre existence et dans celle de nos semblables, et ce quoi que nous fassions. Le bouddhisme ne fait aucun effort pour tenter d’embellir la réalité ou pour lui donner un tour favorable. Pas de faux espoirs, pas de tentative déplacée de donner du sens. Les choses sont comme elles sont : nous naissons, nous vieillissons, nous tombons malades et nous mourons. Nous sommes frustrés parce que nous obtenons ce que nous ne voulons pas et n’obtenons pas ce que nous voudrions.

Avidité, aversion et illusion

La réponse du Bouddha à la question des Kalamas soulève bien sûr de nouvelles questions.
Quelles sont les causes de la souffrance ?

Quelles sont les pratiques qui conduisent au bien-être ?

Le bouddha poursuit son exposé :

« Si quelqu’un agit poussé par l’avidité, l’aversion et l’illusion, cela conduit-il à la souffrance ou au bien-être ? »

Pour les Kalamas, il est évident que l’avidité, l’aversion et l’illusion conduisent à la souffrance.

L’avidité, l’aversion et l’illusion sont une triade classique du bouddhisme. Nous pouvons l’illustrer par un exemple concret. Imaginez que quelqu’un vous aborde sous l’emprise de l’avidité, de l’aversion et de l’illusion. En d’autres termes, en se demandant uniquement ce que vous pouvez lui apporter, en quoi vous pouvez lui être utile, ce qu’elle pourrait vous faire faire, si vous lui rapporterez de l’argent ou du pouvoir, si elle pourra coucher avec vous ou en se disant que votre visage ne lui plaît pas, que vous pourriez lui nuire ou vouloir l’exploiter. Il est clair qu’un tel contact serait extrêmement désagréable. Dans la mesure où les pensées de cette personne se manifestent dans des actions concrètes, vous courez le risque d’être abusé de toutes les manières possibles. Mais cela est également une source de souffrance pour la personne en question. Cette personne vit en état de guerre constant, tout contact est une lutte de pouvoir dont elle peut sortir victorieuse ou perdante et dans laquelle elle peut être elle-même abusée. En dehors des moments brefs et occasionnels de satisfaction immédiate de ses besoins, il n’existe pour cette personne aucun repos ni bien-être.

La deuxième noble vérité est la vérité de la cause de la souffrance. Cette cause est souvent désignée comme étant la soif. La soif est ici utilisée comme une métonymie de la triade que nous venons d’évoquer : avidité, aversion et illusion. Une traduction plus moderne pourrait être : notre indigence, nos besoins. En réalité, ce ne sont pas nos besoins objectifs qui sont visés ici, mais bien la manière dont nous réagissons à ces besoins.
Cela signifie que le bonheur ne dépend pas de la seule satisfaction de nos besoins. Au contraire, la recherche acharnée de la satisfaction des besoins est la cause par excellence de la souffrance que nous nous imposons, à nous-même et aux autres. De la même manière, l’idée que l’on puisse être heureux aux dépens d’une autre personne est ici démasquée comme une illusion.

Quelle est la source du bonheur ?

Le Bouddha poursuit : « Si le comportement d’une personne n’est pas dicté par l’avidité, l’aversion et l’illusion, elle irradiera spontanément l’amour, la compassion, la joie et l’équanimité ».

Ces quatre caractéristiques de la libération sont la traduction d’une formule consacrée du pali qui mérite que l’on s’y arrête :
– Le terme pali metta, traduit ici par « amour », est au fond un désir, à savoir le désir que tout se passe bien. On utilise souvent la comparaison d’une mère qui prend son enfant dans ses bras. Son désir est que son enfant se porte bien.
– La compassion (karuna), c’est être touché par la souffrance d’autrui.
– La joie (mudita) fait référence au fait d’être content de quelque chose. C’est la faculté d’apprécier ce qui est.
– L’équanimité (upekkha) signifie une attention impartiale qui ne détourne pas le regard de ce qui est désagréable et n’est pas désespérément en quête de ce qui est agréable.

Un exemple concret : les personnes atteintes d’une maladie grave telle que le cancer découvrent souvent qu’elles perdent tout d’un coup des amis. Les gens ont peur de ne pas savoir quoi dire. Pour certains, ces personnes, dans leur souffrance, perdent soudain tout intérêt. Dans le même temps, les malades se découvrent des amis inattendus. Des personnes auxquelles ils peuvent s’adresser et qui les soutiennent de manière désintéressée. Si une personne atteinte d’un cancer se tourne vers vous, selon que vous êtes libéré de l’avidité, de l’aversion et de l’illusion, vous allez espérer qu’elle se porte bien (metta), être touché par la nouvelle de sa maladie (karuna), être malgré tout content de sa présence (mudita) et être prêt à écouter son histoire (upekkha), ses espoirs comme son désespoir, sa douleur comme son soulagement. Dans certaines traditions bouddhistes, on parle ici de la « nature de Bouddha ». Ce n’est rien d’autre que notre humanité fondamentale .

La troisième noble vérité est la vérité de l’extinction de la soif. Notre psychologie traditionnelle connaît elle aussi la soif et la triade avidité, aversion, illusion. La psychanalyse parle de plaisir, de déplaisir et d’inconscient, la thérapie comportementale de récompense, punition et cognitions irrationnelles. La différence essentielle réside dans le fait que la psychologie essaye d’expliquer l’ensemble de nos comportements à partir de ces concepts alors que le bouddhisme affirme la possibilité de se libérer, c’est à dire d’avoir un comportement qui n’est plus dicté par une quelconque triade.

La voie

Quelle est la voie qui conduit à la libération ? La quatrième noble vérité est la vérité de la voie qui conduit à la libération. Il s’agit de l’octuple sentier. Les huit éléments du sentier ne constituent pas des étapes successives mais un tout organiquement interdépendant. Traditionnellement, on les rassemble dans trois groupes : la conduite éthique, le recueillement méditatif, la connaissance supérieure.

L’entrée du sentier est la connaissance supérieure. Dans un premier temps, il s’agit d’avoir confiance dans le bien-fondé de la voie proposée et d’avoir l’intention de lui donner une chance. On peut comparer cette confiance à celle que place un patient dans son médecin. Il ne sait pas encore si le médicament donnera des résultats, mais en se basant sur son bon sens, il a suffisamment confiance dans le médecin pour essayer. Ici, la plus grande sagesse réside dans la conscience de sa propre responsabilité.

Nous en arrivons alors à la conduite éthique. Dans le bouddhisme, l’éthique n’a pas le même caractère moralisateur que dans nos religions occidentales. Dans un premier temps, l’éthique est descriptive. Certains types de comportement, comme tuer, voler, mentir, un comportement sexuel inapproprié, génèrent de la souffrance tant pour leur auteur que pour la victime. Il n’existe aucune notion de punition pour ces méfaits, mais bien une prise de conscience de la responsabilité et des conséquences du comportement de chacun. C’est ce que le bouddhisme entend par « karma ». Les règles éthiques décrivent les limites à ne pas dépasser pour ne pas générer de malheur pour soi-même et pour autrui.

L’étape suivante est la méditation. Toutefois, il convient de noter qu’on ne médite nulle part autant que dans le très récent bouddhisme occidental. Ceci est dû au fait que le bouddhisme est devenu populaire en Occident en pleine période des expériences psychédéliques, des hallucinogènes et d’une explosion de l’intérêt général pour la psychologie. Ceci en donne une image dénaturée. C’est un fait que certaines formes de méditation bouddhiques peuvent être utilisées comme méthodes de gestion du stress ou pour parvenir à une meilleure connaissance de soi. La méditation n’est une pratique bouddhique que dans la mesure où elle est intégrée de manière organique dans l’octuple sentier. En d’autres termes, lorsqu’elle est portée et motivée par la connaissance supérieure et par un comportement éthique.

Dans le bouddhisme, la méditation est le lieu par excellence du libre examen. Elle est le laboratoire, le microscope dans lequel il est possible d’examiner avec minutie les quatre nobles vérités. Dans l’authentique « reality show » de la méditation, on peut voir comment naît la souffrance et comment il est possible de s’en libérer. Il suffit d’essayer pendant quelques minutes de se concentrer sur sa respiration pour constater comment son esprit s’échappe, poussé par l’avidité, l’aversion et l’illusion. Dans la mesure où l’on apprend à rester présent au milieu de cette confusion avec une attention bienveillante, on découvre la possibilité de se libérer.

De cet examen naît la connaissance supérieure. Ce qui, au départ, était une confiance critique dans l’expérience d’autrui devient expérience et connaissance personnelles. Cette connaissance supérieure met de plus en plus en lumière l’absurdité d’un comportement non éthique. Si, au début, on ne faisait que suivre des préceptes, le comportement éthique devient de plus en plus spontané et évident. Pourquoi continuer à se faire du mal, à soi et aux autres, si l’on sait comme l’éviter ?

Les fruits que l’on récolte sur la voie constituent en soi une motivation suffisante pour continuer à méditer et à examiner d’encore plus près les causes de la souffrance et du bien-être. Ceci permet d’approfondir la connaissance, ce qui constitue une nouvelle motivation, etc. Ce cercle vertueux est sans fin.

Conclusion

Le philosophe Leo Apostel, qui pratiquait lui-même intensivement le zen, proposait de considérer toute existence humaine comme une expérience éthique. Comme dans la tradition scientifique occidentale, on peut continuellement acquérir de nouvelles connaissances en se fondant sur les expériences de ses prédécesseurs. D’autre part, d’innombrables étudiants en physique ont, manuel à la main, reproduit les expériences de Newton et ont ainsi découvert eux-mêmes les lois fondamentales de la physique. Le Bouddha nous propose lui aussi une expérience : elle commence par prendre les rênes de notre vie en mains. La substantifique moelle de cette expérience se trouve résumée dans ce quatrain du Dhammapada :

S’abstenir de tout mal,

Cultiver le bien,

Purifier son esprit,

Tel est l’enseignement des Bouddhas.

De la pratique bouddhique, il est dit dans les textes qu’elle est « bonne au début, bonne au milieu et bonne à la fin ». Le sentier porte ses fruits dès le début. Le bouddhisme est une tradition de moines et de laïcs. On n’attend pas de ses pratiquants qu’ils passent chaque jour des heures assis sur un coussin, bien que ce soit une possibilité. Faire ses premiers pas sur la voie et cultiver dans sa vie quotidienne notre humanité fondamentale a du sens et est source de libération. Sans cela, s’asseoir sur un coussin n’aurait aucun sens. Les traditions bouddhistes se sont toujours opposées à la tendance inévitable de considérer la voie monastique comme supérieure à la voie laïque.

En tant qu’occidentaux, nous avons grandi avec l’idée que les deux significations de « bien vivre » sont incompatibles : bien vivre, au sens de mener une existence vertueuse, « bien vivre » au sens de profiter de la vie. La découverte la plus passionnante et la plus surprenante de l’expérience bouddhique réside dans le fait que les deux sens de « bien », tels l’avers et le revers d’une médaille, coïncident parfaitement.


29-04-2007
– Par Edel Maex[[Edel Maex est psychiatre à l’hôpital Middelheim d’Anvers. Il pratique le zen et est membre du Conseil d’administration de l’UBB. Ce texte est tiré de son ouvrage Een kleine inleiding in het boeddhisme, lannoo, 2005.]]
– Texte issu de www.buddhism.be

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