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Bhoutan — Déception au pays du bonheur national brut

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27.07.2009

Plus d’un an après le passage de la monarchie absolue à un système parlementaire et la tenue de législatives, le gouvernement n’est pas à la hauteur. L’économie, les libertés et l’éducation vont mal.

Cérémonie de couronnement du jeune roi, Jigme Khesar Namgyel Wangchuck, Thimphu le 6 Novembre 2008.
Cérémonie de couronnement du jeune roi, Jigme Khesar Namgyel Wangchuck, Thimphu le 6 Novembre 2008.

En mars 2008, le Bhoutan mettait fin à cent ans de monarchie absolue pour se tourner vers la démocratie parlementaire. Il s’agissait d’une décision importante, de la part d’un pays qui avait toujours refusé la démocratie, affirmant que celle-ci porterait atteinte à la culture et aux traditions bien préservées de ce royaume isolé. Aujourd’hui, pourtant, plus d’un an après le premier scrutin de son histoire, le roi Jigme Khesar Namgyel Wangchuck (le fils du monarque à l’origine de la décision de démocratiser le pays) conserve toujours de nombreux pouvoirs politiques, notamment celui d’interférer directement dans les décisions du Parlement élu.

Le fait que les habitants puissent désormais utiliser leur droit de vote et critiquer le gouvernement constitue certainement un progrès majeur pour le pays du Dragon-Tonnerre. Mais les réalisations de la première année de démocratie du pays sont loin d’être à la hauteur des attentes. L’an dernier, pendant la campagne, le Druk Phuensum Tshogpa (DPT) – le parti actuellement au pouvoir – défendait une philosophie fondée sur le développement économique et l’atténuation de la pauvreté, s’appuyant sur l’idéologie officielle omniprésente du « bonheur national brut ». Cependant, après un an au pouvoir, il n’y a eu aucun progrès visible dans l’atteinte de l’un ou l’autre de ces objectifs – et pas un seul projet de développement n’a été approuvé par le gouvernement DPT.

Les décisions qui ont été prises ont un impact discutable sur le bien-être de la population. En janvier 2009, alors même que les consommateurs subissaient les conséquences de la crise économique et de l’inflation, le gouvernement du Premier ministre Jigme Thinley a décidé d’augmenter le salaire des fonctionnaires de 35 % en moyenne (et jusqu’à 61 % pour certains). Cette mesure, apparemment adoptée sans évaluation préalable de ses effets économiques, a contribué à aggraver un taux d’inflation qui, à environ 9 % est le plus élevé jamais enregistré au Bhoutan.

En outre, alors que l’autosuffisance est l’un des objectifs de la philosophie du bonheur national brut, la dépendance du Bhoutan à l’égard des aides [d’autres pays ou d’institutions internationales] a augmenté au cours de la dernière année. En 2008, l’Inde a annoncé une aide financière de 100 milliards de roupies indiennes [environ 1,5 milliard d’euros]. Pendant ce temps, le gouvernement s’est montré incapable de soutenir le secteur privé. Environ une demi-douzaine d’industries ont dû fermer leurs portes pendant cette période, et les autorités semblent peu se soucier du problème du chômage – qui devient de plus en plus préoccupant. Une grande part des problèmes actuels sont probablement liés à la crise économique mondiale, mais la situation a également permis de démontrer à quel point le nouveau gouvernement était hésitant et – ce qui est plus inquiétant – peut-être incapable de respecter les idéaux d’autonomie dont il se faisait lui-même le défenseur.

Les toutes premières élections du Bhoutan se sont certes bien déroulées, mais l’ancien royaume est encore loin d’être un pays démocratique. Un pourcentage significatif de la population continue de se voir refuser les droits les plus fondamentaux. Par exemple, moines, personnalités religieuses et détenus n’ont pas pu voter l’an dernier lors des élections. Les rassemblements politiques et les manifestations ne sont toujours pas autorisés, et le gouvernement cherche à décourager l’activité syndicale. Aussi, alors que la Constitution garantit la liberté de rassemblement, on rapporte que le gouvernement a mis fin à des meetings politiques et infligé des amendes à certains médias pour avoir critiqué des responsables politiques. De larges pans de la population sont victimes de discrimination. De nombreux Lhotsampas – une minorité parlant népalais du sud du Bhoutan [plus de 100 000 réfugiés de cette ethnie habitent des camps supervisés par les Nations unies dans le sud-est du Népal et ailleurs] – se sont également vu refuser le droit de vote aux dernières élections.

Le secteur de l’éducation a toutefois connu des améliorations au cours de la dernière année. Néanmoins, plus de 60 % des élèves bhoutanais qui souhaitent acquérir une éducation supérieure doivent aller en Inde ou encore plus loin à cause du manque de places dans les établissements d’enseignement supérieur du pays. Des responsables du ministère de l’Education ont annoncé à plusieurs reprises l’intention du gouvernement d’ouvrir une école dans chaque village, mais on ignore toujours comment il compte concrétiser ce projet. Pendant la campagne, le principal slogan du DPT insistait sur le concept de bonne gouvernance. Aujourd’hui, selon un récent sondage réalisé par Kuensel, un hebdomadaire financé par l’Etat, plus de 47 % des habitants se déclarent déçus par le nouveau gouvernement démocratique.


I.P. Adhikari (Himal)

Source : www.courrierinternational.com

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