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Arundhati Roy: « Une tragédie humanitaire colossale au Sri Lanka»

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Arundhati Roy: « Une tragédie humanitaire colossale au Sri Lanka»

12 AVRIL 2009

1_arundhati_roy.jpg Pointant un doigt accusateur contre le gouvernement indien pour son silence sur la tragédie en cours au Sri Lanka, Arundhati Roy, écrivain et activiste, a déclaré, dans un article publié dans le « Times of India », « que des dizaines de milliers de personnes sont maintenues barricadées dans des camps de concentration et qu’un génocide attend de se dérouler, il y a un silence morbide de la part de l’Inde.
C’est une tragédie humanitaire colossale ! Le monde doit intervenir ! Maintenant ! Avant qu’il ne soit trop tard ! ». Le texte complet de Mme Roy dans l’article du « Times of India » :

L’horreur silencieuse de la guerre au Sri Lanka, par Arundhati Roy

L’horreur qui se déroule au Sri Lanka devient possible grâce au silence qui l’entoure. Il n’y a quasiment aucune information dans les principaux médias indiens – ou plutôt dans la presse internationale – relatant ce qui se déroule là-bas. La raison pour laquelle cela se passe ainsi est un sujet d’une grave importance.

Selon les bribes d’informations qui réussissent à nous parvenir, il semble que le gouvernement sri-lankais utilise la propagande de la « guerre contre la terreur » comme « feuille de vigne » pour démanteler tout semblant de démocratie dans le pays, et commettre d’innommables crimes contre le peuple tamoul. Travaillant avec le principe que chaque Tamoul est un terroriste tant qu’il ou elle n’a pas prouvé le contraire, les zones civiles, les hôpitaux et les abris sont bombardés et transformés en zone de guerre. Les estimations fiables chiffrent le nombre de civils piégés à plus 200.000. L’armée sri-lankaise est en train d’avancer, équipée de chars d’assaut et d’avions.

Pendant ce temps, des rapports officiels indiquent que plusieurs « villages d’urgence » ont été établis pour abriter les Tamouls déplacés dans les districts de Vavuniya et de Mannar. Selon un rapport de « The Daily Telegraph » du 14 février 2009, ces villages sont des centres de détention imposés à tous les civils fuyant les combats. Est-ce un euphémisme pour « camps de concentration » ? L’ancien ministre des affaires étrangères du Sri Lanka, Mangala Samaraveera, a indiqué dans « The Daily Telegraph » : « Il y a quelques mois, le gouvernement a commencé à répertorier tous les Tamouls à Colombo sur la base qu’ils pouvaient constituer une menace à la sécurité, mais ceci peut aussi être exploité pour d’autres objectifs comme l’ont fait les Nazis dans les années 1930. Ils vont simplement étiqueter toute la population civile tamoule comme des terroristes potentiels. »

Etant donné son objectif clairement mentionné « d’anéantir » les LTTE, cet éboulement malveillant de civils et de « terroristes » semble signaler que le gouvernement du Sri Lanka est sur le point de commettre quelque chose qui pourrait finir par être un génocide. Selon une estimation de l’ONU, plusieurs milliers de personnes ont déjà été tuées. Plusieurs milliers d’autres ont été gravement blessées. Les quelques témoignages oculaires qui ont pu être recueillis sont des descriptions de cauchemars provenant de l’enfer. Ce dont nous sommes témoins, ou devrais-je plutôt dire, ce qui se déroule au Sri Lanka et qui est si efficacement dissimulé de l’attention du public, est une guerre éhontée ouvertement raciste. L’impunité avec laquelle le gouvernement du Sri Lanka est capable de commettre ces crimes dévoile réellement les préjugés racistes profondément ancrés, lesquels ont précisément menés, en premier lieu, à la marginalisation et à l’aliénation des tamouls au Sri Lanka. Ce racisme a une longue histoire d’ostracisme, de blocus économiques, de pogroms et de tortures. La nature brutale de la guerre civile, longue de plusieurs décennies, qui a débuté comme une protestation pacifique non-violente, trouve ses racines dans cela.

Pourquoi ce silence ? Dans une autre interview Mangala Samaraveera dit : « aucun média libre n’existe virtuellement, aujourd’hui, au Sri Lanka ».

Samaraveera continue son discours en parlant des escadrons de la mort et des enlèvements par des camionnettes blanches, lesquelles ont figé la société dans la terreur. Les voix des dissidents, incluant celles de plusieurs journalistes, ont été enlevées et tuées. La Fédération Internationale des Journalistes accuse le gouvernement du Sri Lanka d’utiliser une combinaison de lois anti-terroristes, de disparitions et d’assassinats pour réduire les journalistes au silence.

Il existe des rapports inquiétants mais non confirmés, indiquant que le gouvernement indien apporte un soutien matériel et logistique au gouvernement sri-lankais dans ces crimes contre l’humanité. Si cela s’avère être vrai, c’est tout simplement scandaleux. Qu’en est-il des gouvernements des autres pays ? Le Pakistan ? La Chine ? Que font-ils pour aider, ou pour nuire à cette situation ?

Dans le Tamil Nadu, la guerre au Sri Lanka a alimenté des passions qui ont mené à l’auto immolation de plus 10 personnes. La colère et l’angoisse du public, dont une grande partie est véridique et le reste est une manipulation politique cynique évidente, sont devenues des enjeux pour les élections.

Il est extraordinaire que cette préoccupation n’ait pas atteint le reste de l’Inde. Pourquoi y-a-t-il un silence ici ? Il n’y a pas ici d’enlèvements par des camionnettes blanches – du moins pas pour ce sujet. Etant donnée l’ampleur des événements au Sri Lanka, le silence est inexcusable. D’autant plus que le gouvernement indien a une longue histoire de « boursicotage » dans ce conflit, prenant d’abord le parti d’un camp puis de l’autre. Plusieurs d’entre nous, moi y-compris, qui aurions du dénoncer cela plus tôt, ne l’avons pas fait, simplement à cause du manque d’information sur cette guerre. Alors, pendant que les meurtres continuent, pendant que des dizaines de milliers de personnes sont maintenues barricadées dans des camps de concentration, pendant que plus de 200.000 personnes doivent faire face à la famine, et qu’un génocide attend de se dérouler, il y a un silence morbide de la part de ce grand pays [l’Inde]. C’est une tragédie humanitaire colossale ! Le monde doit intervenir ! Maintenant ! Avant qu’il ne soit trop tard !

A propos de l’auteur : Arundhati Roy est un écrivain et activiste pacifiste indienne. Elle a obtenu le prix Booker pour l’un des ses romans.

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