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Inde — Le calme malgré des attentats

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26.03.2009

Inde_religion54.jpgEnviron 150 millions d’Indiens sont musulmans. Ils constituent la plus grande minorité du pays et la plus importante minorité musulmane de la planète. Leur quotidien n’a rien à voir avec les images de musulmans radicaux véhiculés par les médias. En effet, une cohabitation harmonieuse entre les différentes communautés religieuses est la norme en Inde.

En Inde, les appréhensions étaient grandes de voir une montée des violences communalistes à la suite des attentats de Mumbai du 26 novembre 2008. Même si ce scénario ne s’est pas produit, certains se méfient davantage des musulmans. Pour beaucoup d’Indiens hindous, les musulmans bénéficient de privilèges sociaux et économiques. Pourtant, en dépit de programmes de discrimination positive en faveur des minorités, le revenu des musulmans indiens est généralement plus faible que la moyenne nationale. Cette minorité reste majoritairement paysanne et sous représentée tant dans l’administration publique que dans la vie politique.

Les musulmans sont aussi harcelés par les autorités comme en fait foi cette affaire dont j’ai été témoin en janvier dernier en Inde avec mon amie Manjira. Une de ses amies l’appelle et lui raconte que son jardinier musulman ne s’est pas présenté chez elle depuis trois jours, sans l’avertir ; ce n’est pas dans ses habitudes. Inquiète, elle se rend chez lui, dans un bidonville de Delhi. À son arrivée, les voisins l’informent que la police a arrêté le jardinier, sa femme et ses deux enfants. Aucune raison n’a été fournie et la famille n’a même pas eu le temps de récupérer ses papiers d’identité. Depuis trois jours, ils étaient tous à un poste de police. Par précaution, le jardinier avait donné à sa patronne une copie de tous ses papiers d’identité. Documents en main, elle se rendit au poste de police. En payant la caution exigée, elle fit libérer la femme et les deux enfants. Les policiers voulaient plus d’argent pour relâcher le jardinier. Elle revint le lendemain et paya. La famille fut finalement réunie sans savoir pourquoi elle avait été arrêtée. Sans faire les manchettes, les arrestations arbitraires sont choses courantes. Mais depuis les attentats de Mumbai en novembre, les musulmans en sont plus fréquemment victimes.

Méfiance et tolérance

D’où vient cette méfiance vis-à-vis la communauté musulmane ? Le début de la présence musulmane en Inde remonte au 8e siècle avec une première conquête arabe. Suivirent plusieurs siècles de domination musulmane. Vers la moitié du 18e siècle, l’Empire britannique met fin au contrôle de l’Empire moghol. Cette trame historique représente pour la majorité hindoue une longue trajectoire de colonisation. Pour plusieurs, ce sentiment de ne pas vivre sur une terre hindoue depuis des siècles pèse et justifie leur méfiance vis-à-vis leurs compatriotes musulmans. D’autant plus qu’au moment de l’indépendance de l’Inde, la création du Pakistan (qui incluait alors aussi le Bangladesh) engendra la partition du territoire indien.

L’État indien opta pour une Constitution laïque garantissant l’égalité de tous et la non-discrimination sur une base religieuse. Mais ces principes fondamentaux n’ont pas été mis en application en ce qui concerne la minorité musulmane, comme l’a démontré le désormais célèbre rapport Sachar, publié en 2006. Ce document recommande que de nombreuses initiatives soient prises à plusieurs niveaux afin d’assurer le développement de la communauté musulmane. Ces actions doivent notamment viser l’accès à l’éducation, à des infrastructures sanitaires adéquates et à des habitations de meilleure qualité, incluant l’électricité. Par ailleurs, si dans certaines régions, comme au Kerala, les musulmans forment une classe de riches marchands, le rapport Sachar démontre que dans l’ensemble du pays, les banques sont beaucoup plus réticentes à accorder des prêts aux musulmans.

La majorité des attentats survenus l’an dernier furent revendiqués par des groupes islamistes. Cependant, nombreux sont les mollahs, muftis et simples musulmans qui dénoncèrent sur la place publique ces actes de violence. Même si les musulmans sont parfois pris à partie par des membres de l’administration publique et de la police, les diverses communautés religieuses cohabitent bien. Lors de grandes fêtes hindoues, les musulmans n’hésiteront pas à se rendre au temple pour prier Ganesh, Lakshmi ou Kali. De même, si une mosquée a la réputation de porter chance aux gens qui vont y prier, hindous, sikhs, bouddhistes y apporteront aussi leurs offrandes. Le métissage des pratiques religieuses est plus courant que la division, sauf en ce qui concerne les extrémistes de toutes provenances, y compris des extrémistes hindous. Il reste à espérer que cette tolérance propre à l’Inde s’incarne dans la possibilité d’implanter des programmes sociaux efficaces pour que les musulmans ne soient plus victimes de discrimination.

En fait, c’est surtout l’incapacité, voire même l’indifférence de l’État à redresser les injustices du pays qui menace le plus les relations entre les citoyens de différentes religions. S’il y a bien un consensus en Inde depuis les attentats de Mumbai, c’est autour de la colère de toutes les couches de la population envers la corruption rampante qui sévit au quotidien, tant dans les institutions publiques que privées.


Karine Bates[[L’auteure est professeure adjointe au Dépar-tement d’anthropologie et directrice du Pôle de recherche sur l’Inde et l’Asie du Sud/CÉRIUM, à l’Université de Montréal.]]

Source : www.alternatives.ca

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