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Cambodge — Des Victimes veulent témoigner pour « savoir la vérité »

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17.02.2009

Phnom Penh Envoyé spécial

Chen Yea était bonze . Il avait 27 ans et vivait dans une pagode près de Kompong Thom (centre du pays) quand Pol Pot prit le pouvoir en 1975. Il fut envoyé aux travaux forcés pour, dit-il, « inverser la mauvaise habitude selon laquelle depuis plus de 2 000 ans les bonzes vivaient aux crochets de la société ». A 61 ans, ayant renoncé à l’habit de moine, il figure parmi les quelque 70 volontaires qui espèrent être entendus comme témoins à charge contre Douch « pour savoir la vérité » de ce qui est arrivé sous les Khmers rouges.



Un projet d’irrigation dans la province de Kompong Thom en 1976. Entre 1975 et 1979, les Khmers rouges ont transformé le Cambodge en un immense camp de travail où ont péri plus de 1,7 million de personnes (photo extraite du livre « Une histoire du Kampuchéa démocratique », publié par le DC-Cam).

Bo Theng, elle aussi des environs de Kompong Thom, avait huit ans. Elle fut séparée de ses parents, agriculteurs. Forcée à ramasser la bouse, couper des arbustes, remuer la terre, elle fut rouée de coups et privée de nourriture pendant une semaine pour avoir chipé des déperditions de récolte de riz alors que la faim la taraudait. Elle aussi veut « témoigner pour apprendre la vérité ». Ni l’un ni l’autre ne sait si le Tribunal retiendra leur candidature. Ils attendaient, lundi 16 février, au Centre de documentation sur le Cambodge (dit DC-Cam), l’organisation non gouvernementale qui, à Phnom Penh, rassemble et entretient les éléments de la mémoire orale et écrite de la tragédie depuis plus de dix ans.

« MA DÉCOUVERTE FAVORITE »

« Pour tous ces gens, ce n’est pas la notion de justice qui domine, elle évoque trop l’autorité, le gouvernement. L’idée de vérité représente pour eux la justice, une reconnaissance de leur souffrance passée », analyse Youk Chhang, l’animateur de DC-Cam. Ni Chen Yea ni Bo Theng n’entretiennent de méfiance à l’encontre des magistrats étrangers au tribunal. Au contraire, « si la cour n’était composée que de juges cambodgiens, je n’aurais pas confiance dans leur vérité à eux », affirme Chen Yea.

Parmi les plaignants déclarés, se trouvent des gens qui déjà, il y a plus de vingt ans, avaient exprimé publiquement cette soif. Sous l’égide du Vietnam, qui venait de renverser Pol Pot, ils avaient participé à une opération de propagande dans laquelle entrait, malgré tout, leur part de sincérité. Un million de signatures furent rassemblées sur des pétitions villageoises sur un thème proche de celle-ci, piochée au hasard : « Nous, soussignés, demandons au monde que la vérité soit faite sur la mort de X, Y et Z dans notre village de la main des criminels Pol Pot, Ieng Sary, Khieu Samphan. Village Aran Sakoh, commune de Siem Reap, octobre 1983. »

L’écriture est appliquée, à l’encre bleue scolaire, sur du méchant papier finement réglé au crayon au préalable pour que chaque ligne soit bien droite. Pas une rature. Suivent quatorze feuillets de signatures accompagnées de l’empreinte digitale de chacun des signataires. L’ensemble a été retrouvé par hasard en 1996 sous un escalier du département du front uni du Parti communiste installé par Hanoï en 1979. Tout le monde avait oublié l’existence de ces documents.

« C’est ma découverte favorite », dit Youk Chhang, exhibant les cartons dont il ne se sépare jamais. « Régulièrement, je relis l’une ou l’autre de ces pétitions. J’entends la voix de ceux qui les ont écrites. Ils redeviennent ce qu’ils sont, de pouvoir être relus ainsi, après tout ce temps où leur parole avait été occultée par la politique. Ces textes ne sont pas que de la propagande. La tragédie qu’ils recèlent nous parle. » « Quand les villageois nous ont vu arriver, c’était la joie de se retrouver partie prenant de la grande histoire. Ils riaient. Aucun n’a fui devant l’évocation du passé. » Certains ont reformulé leur plainte pour qu’elle soit soumise au Tribunal spécial Khmers rouges. D’autres « se contentent de ce que le Tribunal accepte ces documents d’origine. C’est comme s’ils étaient absous d’être restés en vie mais réduits au silence ». Cet accueil réfute, souligne Youk Chhang, l’argument selon lequel la grande masse des paysans est indifférente au procès.


Francis Deron

Source : www.lemonde.fr

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