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Kôzen gokoku ron : « Traité sur la restauration du zen pour la protection de la nation »

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Myôan Eisai
Myôan Eisai
« Après que j’eus résolu de rechercher la loi, je visitais des amis [de bien] partout dans notre pays. J’eus l’occasion de rencontrer sire [Myô]zen de Kennin. Les saisons des gelées et des fleurs où nous nous cotoyâmes passèrent bien vite neuf fois et je compris un peu le style du Rinzai. Sire [Myô]zen était le principal disciple du maître-fondateur, le maître [Ei]sai, et fut le seul à transmettre correctement la suprême loi du Bouddha. Aucun autre disciple ne put l’égaler. » (Shôbôgenzô Bendôwa)


Dans ce texte fameux, Dôgen (1200-1253), qui introduisit la tradition sôtô au Japon, rappelle qu’il s’initia tout d’abord au zen dans son propre pays, au Kenninji. Ce temple, situé près de la ville impériale de Kyoto, avait été fondé en 1202 par le maître Eisai. Et lorsque Dôgen et Myôzen se rendirent sur le continent à la recherche du zen chinois, ils gagnèrent immédiatement les monastères où avait déjà pratiqué Eisai.


Myôan Eisai (1141-1215) fut, en effet, l’un des premiers introducteurs du zen au Japon même s’il ne réussit pas à fonder une véritable école. Lui-même était moine tendai, une école syncrétique que l’on appelait également enmitsukaizen, car elle se fondait sur quatre traditions, celles de l’enseignement « parfait » (en) du Sûtra du Lotus, des rites « secrets » (mitsu) du tantrisme, des « défenses » (kai), et de la « méditation » (zen).


En 1168, Eisai réussit à se rendre une première fois en Chine où il ne resta que quelques mois. Il s’initia brièvement au zen auquel le tendai se référait déjà puis ramena de nombreux ouvrages du continent. Durant la vingtaine d’années qui suivit, il s’adonna essentiellement au bouddhisme tantrique, créant même un courant au sein de sa propre école que l’on appela Yôjô taimitsu, « l’ésotérisme tendai de la branche Yôjô ».


En 1187, il traversa une nouvelle fois la mer de Chine, dans le but de se rendre, cette fois-ci, en pélerinage en Inde. Mais il échoua dans sa tentative, ne pouvant obtenir les autorisations nécessaires pour quitter l’empire du Milieu. Il resta alors en Chine où il pratiqua plusieurs années sous la direction du maître zen Koan Eshô (ch. Xu’an Huaichang), de l’école zen rinzai (ch. linji). Le bouddhisme en Chine était en effet, à cette époque, essentiellement représenté par l’école zen. Au terme de ces années d’étude, celui-ci lui conféra sa transmission.


De retour au Japon en 1191, Eisai subit de nombreuses critiques. En 1198, il finit par écrire le Kôzen Gokoku ron, Le « Traité sur la restauration du zen pour la protection de la nation », une sorte de plaidoyer adressée à la cour pour restaurer la tradition zen. Sa pétition n’eut pas l’effet escompté. Il pu néanmoins s’établir à Kyoto grâce au soutien du shôgun Minamoto Yoriie qui fit construire le temple de Kenninji (qui demeura néanmoins officiellement affilié à l’école tendai).


Le Kôzen Gokoku ron reste le principal ouvrage composé par Eisai. Dans ce texte, il n’affirme pas tant sa volonté de restaurer le courant zen, que de restaurer, en fait, les aspects méditatifs (zen) et surtout disciplinaires (kai) que le tendai avait négligés. L’école zen chinoise, apparaît sous sa plume, comme la tradition ayant pleinement conservé ses aspects. Dans ce Traité, il a cette formule célèbre : « L’école zen considère les préceptes (kai) comme son alpha et la méditation (zen) comme son oméga. » Son argumentaire se développe autour d’une question centrale : comment établir au Japon la double ordination de moine et de bodhisattva telles qu’elle existait dans les monastères zen de l’époque. A la différence de l’école japonaise tendai, les moines chinois suivaient deux codes de discipline qui relevaient l’un du Petit Véhicule, l’autre du Grand Véhicule. Ils prenaient conjointement les 250 défenses de moine du Code disciplinaire quadripartite (Shibun ritsu, le code disciplinaire de l’ancienne école indienne des Dharmaguptaka) et les 58 préceptes de bodhisattva selon le Sûtra du Filet de Brahma.


Eisai n’a de cesse de proposer ce modèle disciplinaire tout au long de son ouvrage. Son approche est à resituer dans les discussions de l’époque sur la dégénérescence de l’enseignement bouddhique et sur la décadence des moeurs monastiques sur lesquelles tous ses contemporains reviennent. Pour lui, seule une pratique de la vertu permettrait de renouer avec le vrai dharma (shôbô), l’enseignement authentique du Bouddha. Cette restauration permettrait inévitablement de protéger la nation, car seul un pays où les moines se conformeraient aux enseignements vertueux des bouddhas et des bodhisattvas bénéficierait de leur protection. Répondre à sa requête garantirait finalement au souverain cette protection.


A lire :

– Henrich Dumoulin, Zen Buddhism : A History, volume 2, New-York, Mac Millan, 1990. C’est en anglais…

– Pierre Marsone, Aux Origines du Zen : Edition bilingue, commentée et annotée du Kôzen gokoku ron de Eisai (1143-1215), Paris, Editions You-feng, 2002. Il n’existe qu’une seule traduction du Kôzen gokoku ron en langue occidentale et elle est française! Pierre Marsone a traduit le texte d’Eisai dans le cadre d’un mémoire de maîtrise qui fut soutenu en 1997 à l’INALCO (Institut National des Langues et Civilisations Orientales, Paris).


[premier extrait] On demande : Certains objectent qu’il est dit dans les Notes sur la Clarté de la Lampe pendant la Loi finale de Dengyô Daishi : « Pendant la période finale, personne ne respectera plus les commandements. Si on leur dit que quelqu’un respecte les commandements, les gens trouveront cela aussi étrange que si on leur disait qu’il y a un tigre au marché. »


Je réponds : Il est dit dans le Sûtra de la Sagesse : « Le lion mord les hommes [sans effort] ; le chien enragé poursuit les mottes de terre [en vain]. » C’est bien le cas de le dire! Vous, vous poursuivez les mottes que sont les mots composés de lettres et vous oubliez qu’il y aura toujours des hommes pour observer les commandements et faire le bien. En regardant dans son ensemble la diffusion de la sainte doctrine, on voit se refléter jusqu’au loin le bon karma des êtres.


Traduction Pierre Marsone, Aux origines du Zen, p. 103. Pierre Marsone traduit kai, « les préceptes » par « les commandements ».


[second extrait] Notre école commence donc par les commandements et aboutit à la méditation. Si un pécheur se repent et arrête de faire le mal, il est appelé homme de méditation. A plus forte raison quand on est établi dans un coeur de grande compassion, les mérites des commandements et la sagesse ne peuvent pas ne pas se développer. C’est pourquoi notre école se fonde sur la grande compassion. Quels péchés ne sont pas effacés!


Traduction Pierre Marsone, Aux origines du Zen, p. 111.


Ce texte et la photo vient de Un Zen Occidental


Cet article ne peut pas être reproduit en totalité ou en partie sans l’accord préalable de Un Zen Occidental

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