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Birmanie — La Junte ne fait Confiance qu’aux Astres

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13.01.2009

Les dirigeants birmans conduisent le pays d’après les consultations de leurs astrologues. Une méthode qui donne lieu parfois à des décisions étonnantes.

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Chaque fois que je m’entretiens avec des diplomates ou des amis étrangers qui souhaitent en savoir davantage sur le Myanmar, je les incite à faire des rapprochements entre les décisions politiques et l’astrologie, ou mieux encore, le yadaya, une forme birmane de vaudou. Ce n’est un secret pour personne que les généraux ont une confiance aveugle dans diverses pratiques, comme l’astrologie, l’occultisme, la numérologie, la magie noire et le yadaya.

Dans l’histoire récente, les grandes dates, les valeurs monétaires et bien d’autres choses ont été établies conformément aux avis des astrologues de la junte. Sous le général Ne Win [au pouvoir de 1962 à 1988], le 9 était devenu le chiffre porte-bonheur du régime. Les coupures existantes avaient même été remplacées : des billets de 45 ou de 90 kyats, multiples de 9, avaient ainsi fait leur apparition. A l’approche de 2009, de nombreux observateurs birmans et étrangers ont découvert avec un certain amusement que le nouveau symbole du pouvoir des généraux paranoïaques de Naypyidaw [la nouvelle capitale] était le 11. Même si les spéculations vont bon train, nul ne sait au juste pourquoi le 11 est subitement devenu le chiffre fétiche de la junte.

En septembre dernier, le régime a libéré 9 002 prisonniers. Ce chiffre étant un palindrome de 2009, je me suis demandé s’il était le fruit du hasard, comme on pourrait le penser, ou s’il avait été déterminé à dessein. J’ai pris contact avec un ancien astrologue du régime, aujourd’hui en exil, et lui ai demandé si ce choix était teinté de superstition. Pour lui, pas de doute, le nombre de libérations relayé par la presse officielle ne correspond jamais à la réalité ; les prisonniers amnistiés peuvent être tout aussi bien une dizaine qu’une centaine. Une seule certitude, les chiffres annoncés suivent forcément les dires d’un astrologue. D’ailleurs, avons-nous remarqué, une fois additionnés, les chiffres qui composent 9 002 donnent 11 (9 + 2).
Peu après cette période de clémence, le régime a multiplié les condamnations à l’encontre de figures de la lutte démocratique. Là encore, les chiffres étaient soigneusement choisis : plusieurs dissidents, dont Min Ko Naing, bête noire de la junte pendant des années, ont écopé en novembre (le onzième mois de l’année) de peines de prison de 65 ans (6 + 5 = 11), prononcées, qui plus est, à 11 heures du matin. A-t-on consulté un augure avant de rendre ces sentences ? « Bien sûr ! », m’a affirmé l’astrologue en exil. « Eclairez-moi !, l’ai-je supplié. Pourquoi 11 ? » Il m’a rappelé que, dans la tradition bouddhiste birmane, il existe onze « feux » – la cupidité, la haine, l’illusion, la naissance, le vieillissement, la mort, le chagrin, la lamentation, la douleur, la tristesse et le désespoir –, qui, dans un contexte spirituel, nourrissent l’attachement [avec lequel les bouddhistes cherchent à rompre]. J’en suis venu à me demander si les généraux n’essayaient pas de se protéger de ces onze feux. Chacun sait que les chefs militaires s’adonnent au yadaya pour tenir le malheur à distance et que beaucoup d’entre eux ont des astrologues privés à leur service.

Pour l’actuel chef de la junte, Than Shwe, dont la superstition est légendaire, le yadaya et l’astrologie n’ont plus de secrets. Lors d’un de ses derniers faits d’armes, il présentait d’ailleurs tous les signes d’un homme possédé. Au cours de la visite du secrétaire général des Nations unies Ban Ki-moon et de l’envoyé onusien Ibrahim Gambari en 2008, l’itinéraire initial a été modifié pour faire un mystérieux détour. A la célèbre pagode Shwedagon de Rangoon, les deux hôtes de marque ont en effet été conduits vers une statue de jade bouddhiste que personne n’avait vue jusque-là. Tour à tour, devant les photographes, les deux hommes ont posé en train de faire des offrandes et de se recueillir devant le buste. Ils n’ont peut-être rien remarqué de particulier. Pourtant, il n’aura pas échappé au reste de l’assistance le manque de sérénité du visage de la sculpture ainsi que l’absence de ressemblance avec Bouddha. Et pour cause : il s’agissait en réalité d’une effigie de Than Shwe. Embarrassés, ses proches conseillers ont reconnu par la suite s’être pliés à ce rite insensé après en avoir reçu l’ordre de l’octogénaire narcissique.

Dans le même registre, mon astrologue bien informé m’a raconté une autre anecdote qui prête à sourire. Chaque fois qu’un émissaire des Nations unies se rend au Myanmar, la direction de l’hôtel dans lequel il descend est priée de déposer la ceinture d’un sarong ou un sous-vêtement d’une femme enceinte sous le plafond de sa suite. Les hommes birmans traditionalistes sont nombreux à croire que le contact avec des effets féminins réduit leur hpoun, autrement dit leur virilité. En ce qui concerne Ban Ki-moon et Ibrahim Gambari [à qui la dissidence birmane reproche leur manque de fermeté], la formule semble avoir prouvé son efficacité.


Par Aung Zaw (The Irrawaddy)

Source : www.courrierinternational.com

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