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Épiphanie du Seigneur

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Épiphanie du Seigneur : Commentaire

L’Epiphanie par René LUDMANN

Epiphanie (évangéliaire d'Ergbert, datant de 963)
Epiphanie (évangéliaire d’Ergbert, datant de 963)


Cette fête était le Noël des Orientaux, particulièrement de l’Eglise d’Alexandrie où elle semble avoir supplanté la fête païenne du soleil ainsi que celle de la crue du Nil à l’occasion de laquelle on puisait, en cérémonie, de l’eau du fleuve – rite que l’on christianisa par la commémoration du baptême de Jésus et par la fête de l’eau changée en vin aux noces de Cana. Ce jour devint tout naturellement un jour de baptême. Quand, peu après, les Eglises romaine et orientale « échangèrent » leur fête de Noël, la liturgie latine intégra aussi le Baptême du Christ et les Noces de Cana. Il en reste des traces dans l’Office des Heures, dans la fête du Baptême du Christ qui termine le temps de l’Epiphanie, et jusque dans le deuxième dimanche du Temps ordinaire dont les évangiles gravitent autour des événements baptismaux du Jourdain (années A et B) ou des Noces de Cana (année C).


Dans l’Eglise latine

Peu à peu, dans l’Eglise latine, l’adoration des mages devint l’objet principal de la fête. La tendance populaire à se fixer sur un aspect second aux dépens de la réalité centrale a fait dévier l’attention sur les mages, d’où le nom de Fête des Rois. Mieux vaudrait dire Fête du Roi. Car ces mages (dont aucun texte d’Ecriture ne dit qu’ils furent des rois) sont venus adorer le « Roi d’Israël », un Roi-Prêtre auquel ils offrent des présents significatifs : l’or royal et l’encens sacerdotal.

Cette fête est, à proprement parler, plus grande que Noël. Disons qu’elle est Noël dans sa plénitude. Le peuple catholique de l’Occident, surtout depuis saint François d’Assise, l’inventeur de nos crèches, préfère Noël, et fête l’événement historique, la naissance de l’Enfant Jésus. Les Orientaux et, dans une bonne mesure, notre liturgie, fêtent un événement plus profond : l’Epiphanie de Dieu, la manifestation glorieuse du Verbe de Dieu au milieu de nous.

Epiphanie – manifestation – se disait d’un roi quand il venait visiter une ville, événement qui donnait lieu à des illuminations, fêtes et privilèges. La fête de l’Epiphanie célèbre, de même, Celui qui « vient visiter son peuple » (Lc 1,68), Celui qui se manifeste en gloire. Ce n’est plus l’enfant caché dans la crèche, c’est le Roi-Prêtre auquel l’Eglise, comme les mages, apporte les présents de son action de grâce et de son coeur entièrement donné.


La fête prend encore une couleur missionnaire, universaliste : ces mages, venus de loin, représentent tous les peuples du monde. Nous fêtons aujourd’hui les jeunes Eglises d’outre-mer venues tard à la foi, mais avec toute l’ardeur et tout le dynamisme de leur jeunesse. Nous fêtons encore – eh oui ! – ces hommes et ces femmes qui cherchent sincèrement, parfois en méprisant l’Eglise. De bonne foi, tel Saül dans son ardeur « pure » de pharisien. Ah ! qu’ils aient, comme Saül sur le chemin de Damas quand la gloire de Dieu l’aveugla bien heureusement, une épiphanie ! Que Dieu les illumine de cette lumière dont l’étoile des mages est annonciatrice !


Tel un éventail que l’on ouvre lentement pour en détailler la richesse, la liturgie déploie aujourd’hui Noël en Epiphanie, avant de déployer cette Epiphanie première en Epiphanie pascale, puis en Epiphanie finale. Ainsi cette venue glorieuse du Christ en notre monde et ces mages représentant « les nations », les peuples encore loin de Dieu, annoncent-ils, dès le début de l’année liturgique, ce que celle-ci fêtera à son terme : le Christ Roi rassembleur des nations. Si Noël peut être dite la fête familiale, l’Epiphanie est la fête universelle. Si, à Noël, une joie douce s’empare de nous, à l’Epiphanie, un frisson glorieux nous parcourt, émeut notre âme, dilate mystérieusement le coeur et porte le regard au loin.


Première lecture : Es 60,1-6

Debout, Jérusalem ! Resplendis ! Regarde ! Lève les yeux ! Regarde encore ! La lumière, elle est venue ! La gloire du Seigneur s’est levée sur toi, Eglise qui était triste, sombre. Tel un soleil, le Seigneur lui-même se lève sur toi, sa gloire (le puissant reflet de Dieu qu’on ne saurait voir en face) brille sur toi d’un merveilleux éclat.

Tout est lumière, clarté, aurore. Tes yeux en sont joyeusement éblouis. Mais qu’est-ce qui se passe ? Ces peuples couverts de ténèbres, dans l’obscurité, tous ces hommes qui ne savent encore rien de Dieu – voilà que ces nations marcheront vers toi, inconsciemment encore, mais guidées par Dieu. Regarde, ils se rassemblent, ils arrivent ! Eux aussi sont tes fils qui reviennent de loin. Réjouis-toi ! Toi, assemblée craintive, tu seras radieuse. Toi, communauté pessimiste, ton coeur frémira et se dilatera.

Les trésors de pensée et de culture africaines, asiatiques… d’au-delà des mers, afflueront vers toi pour t’enrichir. Des foules de chameaux, de dromadaires t’envahiront. Tous les gens de Saba viendront apportant l’or et l’encens. (De ce verset s’inspirera l’évangile pour les présents mystiques qu’apporteront les mages, tandis que chameaux et dromadaires feront la joie de nos crèches).

Il n’y aura plus qu’une seule eucharistie universelle, quand tous proclameront les louanges du Seigneur.

Laisse-toi prendre, Eglise, à ce lyrisme débordant. Ne cultive plus ta petite liturgie fermée. Debout ! Regarde au loin ! – Et que ton coeur frémisse !


Psaume : Ps 71

Une prière pour le roi lors de son intronisation, plus tard appliquée au Messie ; le psaume d’Epiphanie par excellence.

Notre Père, que ton règne vienne par Jésus ton Fils à qui tu as donné pouvoir de roi pour guider ta communauté, ton peuple pour qu’il fasse droit aux malheureux.

Déjà tu fais fleurir, par lui, ta justice, ton plan d’amour sur nous ; la paix de Noël dans l’abondance de tes sacrements.

Que tout pouvoir terrestre, tous les rois, tous les pays reconnaissent qu’ils n’ont de pouvoir que de toi, que les îles, les hommes encore loin de toi, puissent te reconnaître et te servir.

Que ce roi domine de la mer à la mer… jusqu’au bout de la terre. Mais ce roi n’est pas un potentat, c’est un roi plein de coeur : il aura souci du faible et du pauvre (bienheureux les pauvres !), dont il sauve la vie, en lui donnant la vie de Dieu.


Deuxième lecture : Ep 3,2-3a.5-6

Cette lecture prolonge la précédente dans son thème de l’universalité. Le mystère du Christ n’a rien d’énigmatique, c’est le plan que Dieu gardait en son coeur pour le révéler progressivement. Paul en a maintenant, avec les apôtres et les prophètes du Nouveau Testament, une vision claire : dans le Christ Jésus, et non plus dans l’étroit espace d’Israël, les païens, eux aussi, tous les hommes, s’ils accueillent l’Evangile, ont part au même héritage, au même corps qu’est l’Eglise, à la même promesse du salut.

D’en être imprégné nous donnera une tout autre façon de voir et d’aimer ceux qui ne pensent pas comme nous. Le coeur rêve : tant d’hommes généreux, en quête du sens de la vie, tant de pauvres qui portent dignement leur sort… ils ne sont pas si loin de Dieu. Mon frère, mon conjoint, mon enfant qui se sont éloignés de la foi – par quels détours te trouveront-ils, Seigneur ? L’Eglise les garde dans sa prière : « Pour tous ceux qui te cherchent avec droiture… pour ceux dont toi seul connais la foi » (3e et 4e prières eucharistiques).


Evangile : Mt 2,1-12

Nous sommes d’abord surpris : de la naissance du Christ, Matthieu n’a que ce bout de phrase : Jésus était né à Bethléem au temps du roi Hérode (on a ajouté : le Grand, pour le distinguer de l’Hérode de la passion). Manifestement, Matthieu s’intéresse moins au comment de cette naissance qu’à la signification de ce fait extraordinaire.

Et tout d’abord, voyez comme, dans le même souffle, deux rois sont nommés : le roi Hérode et le roi des Juifs qui vient de naître. Les Juifs, qui délestaient le premier, ont dû rire sous cape ; Hérode, méfiant, ombrageux, a dû froncer les sourcils. Il convoque d’ailleurs les mages en secret : « Avertissez-moi » – afin de supprimer le concurrent possible. Chez Matthieu, ce terme de roi sonne comme un leitmotiv qui va parcourir tout son évangile. N’écrit-il pas l’évangile du Royaume des cieux ? Evangile qui finira par le meurtre de celui que Juifs et soldats païens conspueront comme le roi : « Salut, roi des Juifs ! – Si tu es le roi d’Israël, descends de la croix » (Mt 27,29.42).

Mais que veulent dire ces mages de l’Orient (peut-être des prêtres astrologues) ? Pour Matthieu, ils sont une réponse aux Juifs convertis (les destinataires de son évangile) qui se demandaient pourquoi si peu de leurs coreligionnaires avaient suivi le Christ. Le salut ne devait-il pas venir d’Israël ? Bien sûr, et les mages arrivent chez les chefs des prêtres et les scribes qui leur montreront le chemin, en citant le prophète Michée : « C’est de Bethléem que sortira un chef qui sera le berger d’Israël mon peuple ». (Mi 5,1). Jésus est désigné comme le Messie, le successeur du roi David, lui-même berger et natif de Bethléem. Gloire à Israël !


Mais, quel drame ! Quel aveuglement ! Les chefs des prêtres et les scribes, qui savent si bien citer les textes, ne se dérangent pas. Tout Jérusalem, qui pourtant devrait se réjouir (1ère lecture), est pris d’inquiétude. Le prologue de Jean se réalise : « Il est venu chez les siens et les siens ne l’ont pas reçu (Jn 1,11). Alors que cette étoile devrait les faire frissonner de joie : n’est-ce pas l’étoile messianique annoncée, pour comble d’humour, par un voyant païen, Balaam : « Un astre sort de Jacob » (Nb 24,17) ? N’est-ce pas cette grande lumière que, dans ses cris d’allégresse, Isaïe avait si souvent prédite (1ère lecture), et qui se lèverait à l’Orient ? – Et ils ne bougent pas !


Tandis que ces païens, sur les maigres données d’une étoile (signe d’un Dieu, chez les anciens) se dérangent. Et de loin ! Pour venir se prosterner. Ils entrent dans la maison (ce n’est plus la crèche de fortune) et se prosternent, se couchent de tout leur long en signe d’hommage, d’adoration, offrent les présents, signes éloquents de ce qu’ils voient en cet enfant : le roi auquel ils offrent l’or, le prêtre auquel ils présentent l’encens, le sauveur qui va mourir auquel ils tendent la myrrhe.


Trois présents d’où la tradition conclura que les mages étaient au nombre de trois.

Oui, les païens ont mieux vu qu’Israël. Celui-ci n’est pas rejeté, mais il n’est plus le centre. Et les mages ne se fixeront pas à Bethléem ; ils éviteront même de retourner à Jérusalem. Ils regagnèrent leur pays par un autre chemin. Désormais le monde entier, et non plus la seule Judée, sera la demeure de Dieu. Tout homme est appelé. « A ceux qui l’ont reçu, il a donné le pouvoir de devenir enfants de Dieu » (évangile de Noël, messe du jour, Jn 1,12).

Etrange évangile qui mêle la joie et la tristesse. La joie de voir les jeunes Eglises trouver Jésus, la tristesse de voir les terres chrétiennes ne plus estimer leur foi. La joie de voir le roi annoncé, reconnu, Jésus qui règne pour les siècles des siècles (disons-nous dans nos oraisons) ; la tristesse de constater que tant de baptisés ne se dérangent pas plus que les scribes et tout Jérusalem.

Un avertissement à être humble, disponible, à interpréter, comme les mages, les signes de Dieu.

Une invitation à respecter les valeurs des religions non chrétiennes dont les mages sont l’éminente personnification.

Un appel à dire aux autres où ils peuvent le trouver.


René LUDMANN pour www.portstnicolas.org


www.buddhachannel.tv

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