La réforme du Code civil au Maroc : progrès pour les femmes
par Nadia Nair, professeure
Le 10 octobre 2003, lors de la session inaugurale parlementaire, le Roi du Maroc Mohamed VI a consacré la plus grande partie de son discours au projet de la réforme du Code du statut personnel (la Moudawana) appelé désormais Code de la Famille.
Il est important de signaler que les innovations introduites par le projet émanent en grande partie des revendications des associations de femmes et des ONG des droits humains qui mènent un combat depuis plusieurs années pour une citoyenneté pleine et entière de la femme marocaine.
Ce discours vient trancher un débat qui a opposé les défenseurs de l’émancipation de la femme et les conservateurs et intégristes. Les » barbus » se sont mobilisés surtout dans les mosquées appelant à dénoncer toute réforme du statut personnel et traitant les féministes de toutes les insultes. Le débat a tourné à un affrontement violent.
Le projet énoncé par le Roi est une véritable réforme et non des » retouches » comme par le passé. Les innovations touchent principalement la reconnaissance du principe d’égalité entre l’homme et la femme dans certains domaines (seulement), le divorce, la polygamie et le renforcement des droits de l’enfant.
L’égalité entre l’homme et la femme dans certains domaines
Le principe de l’égalité entre l’homme et la femme est consacré dans le domaine de la responsabilité familiale. Celle-ci est placée sous « la direction conjointe des époux » et non plus « sous la direction du mari ». Il en est de même au niveau des droits et devoirs des époux. Un article est consacré aux » droits et devoirs réciproques entre époux » alors que le texte actuel sépare les droits de l’épouse à l’égard de son mari et vice versa (articles 35 et 36). Actuellement, le mari doit entretenir sa femme en contrepartie de » la fidélité, l’obéissance, l’allaitement au sein des enfants, la charge de veiller à la marche du foyer, la déférence envers les parents du mari « .
Quant à l’aptitude au mariage, elle » s’acquiert pour l’homme et la femme jouissant de leurs facultés mentales à 18 ans « . Dans le texte en vigueur, elle est de 15 ans pour la femme et de 18 ans pour l’homme.
Enfin, la fille, comme le garçon, a la possibilité librement, à l’âge de 15 ans, de choisir la personne à qui sa garde sera confiée. Actuellement, cet âge est de 12 ans pour le garçon et de 15 ans pour la fille.
La tutelle matrimoniale pour la femme majeure
Dans le texte actuel, la femme est soumise à la tutelle d’un membre mâle (la wilaya) lors du mariage. Dans le nouveau texte, la tutelle devient un droit que la femme majeure exerce selon sa volonté. Toute femme majeure peut désormais conclure elle-même son contrat de mariage.
Il est important de rappeler ici que les associations de femmes ont revendiqué la suppression pure et simple de la tutelle.
La réforme en matière de divorce
La répudiation (droit unilatéral du mari à la dissolution du mariage) n’est pas abolie. Elle est seulement assujettie à certaines limites. Le mari doit s’adresser au tribunal pour en demander l’autorisation. Elle exige l’acquittement par le mari de tous les droits dus à la femme et aux enfants avant l’enregistrement du divorce. Elle est surtout irrévocable : le mari n’ayant plus le droit de reprendre son épouse dans le » délai de viduité » (trois mois et 10 jours) sans le consentement de celle-ci. Pratique consentie par le texte actuel. La répudiation verbale n’est plus valable.
Le futur Code assouplit les conditions de demande de divorce de la femme. Les procédures actuelles sont compliquées et lentes ; la demande du divorce par la femme peut durer des années, souvent sans résultat.
Le Khol’, procédure qui permet à la femme de convenir avec son mari de la répudier moyennant compensation financière, est un moyen de chantage du mari dans la réalité actuelle au Maroc. Le nouveau code permet au juge d’intervenir et de fixer cette compensation.
La réforme introduit aussi, pour la première fois, le divorce consensuel qui permet aux époux de se séparer par consentement mutuel.
La polygamie
La polygamie n’est pas abolie. Mais elle n’est plus un droit que le mari exerce selon sa volonté ; elle devient soumise à des conditions sévères et à l’autorisation du juge. En outre, la femme peut conditionner son mariage à l’engagement du mari de ne pas prendre d’autres épouses et elle peut invoquer la polygamie pour demander le divorce pour préjudice subi.
La gestion des biens acquis des époux
Tout en consacrant le principe de la séparation des biens, le projet introduit la possibilité par les époux de se mettre d’accord, dans un document séparé de l’acte de mariage, afin de définir un cadre pour la gestion des biens acquis durant le mariage. En cas de désaccord et de divorce, c’est le juge qui évalue la contribution de chacun des époux.
Le mariage des marocains résidant à l’étranger
Les marocains résidant à l’étranger, soumis jusqu’à maintenant, à la Moudawana en vigueur au Maroc peuvent, dans le texte du projet, » conclure leur mariage en conformité avec les procédures administratives locales, pourvu que soient réunies les conditions du consentement et de l’aptitude et qu’il n’y ait pas d’empêchements légaux et pas de renonciation à la dot (sadaq) ; et en présence de deux témoins musulmans et du wali (tuteur) si c’est nécessaire » (article 14 du projet).
Ainsi, d’une part, le projet simplifie la procédure du mariage des Marocains résidant à l’étranger. D’autre part, il admet, pour la première fois, la forme civile du mariage et une règle du droit international privé (la soumission de l’acte juridique à la loi du lieu où il a été passé).
Le renforcement des droits de l’enfant
Là aussi, pour la première fois, des dispositions relevant des accords internationaux ont été insérées dans la législation marocaine. Il s’agit des droits des enfants à l’égard de leurs parents stipulé dans la Convention relative aux Droits de l’Enfant ratifiée par le Maroc.
En cas de divorce, l’enfant bénéficie d’un domicile, indépendamment de la pension alimentaire. Actuellement, les mères divorcées gardiennes et leurs enfants se voient expulsés du domicile conjugal à la demande du mari.
Le projet introduit aussi l’accélération de la procédure en matière de pension alimentaire (ne pas dépasser un mois).
Le projet introduit comme innovation la possibilité pour la femme de conserver, sous certaines conditions, la garde de son enfant même après son remariage ou son déménagement dans une localité autre que celle du mari. Dans le texte actuel, ces deux situations (remariage et déménagement) de la mère gardienne sont des motifs pour perdre la garde, si le père de l’enfant l’exige.
Le projet introduit aussi la reconnaissance de filiation à l’enfant conçu pendant la période de fiançailles, si certaines conditions sont réunies. Malheureusement, les autres cas d’enfants nés de relations hors mariage ne bénéficient pas de ce droit.
Il reste à signaler que :
– Le Code de la Famille octroie un rôle central à la justice. Il intègre l’intervention du ministère public dans toute action visant l’application des dispositions du Code de la Famille.
– Il élimine toute terminologie qui portait atteinte à la dignité de la femme : des termes comme » ta’a » (obéissance) et » nikah » (signifie relation sexuelle pour désigner le mariage) ne sont plus utilisés.
– Ses principes fondateurs ne se basent plus sur des rapports hiérarchisés, de domination et de servitude.
– l est désacralisé puisqu’il quitte les cercles religieux pour être soumis au Parlement.
La loi familiale devient, enfin, une affaire de société, une affaire publique, une affaire politique. C’est pour cela que la société civile marocaine a considéré cette réforme comme un événement historique.
Mais les militantes du mouvement féminin et toutes les personnes démocrates doivent rester vigilantes et mobilisées et s’assurer, d’abord, de l’application de ces innovations et de la mise en place de mécanismes d’accompagnement (Caisse de pensions, aménagement de locaux convenables pour les juridictions de la famille, formation de cadres et magistrats qualifiés,…). Elles doivent, ensuite, poursuivre le combat pour le changement des mentalités et l’élargissement de la culture égalitaire. Elles doivent, enfin, continuer le combat pour l’obtention de davantage de droits puisque cette réforme n’est qu’une partie des revendications des femmes pour la reconnaissance de leur citoyenneté à part entière.
Références :
Discours Royal du 10 Octobre 2003.
« De la Moudawana au Code de la Famille », par Fatna Sarhane, dans la revue Femmes du Maroc, n°95- Novembre 2003.
Mis en ligne sur Sisyphe, le 20 novembre 2003.