La stratégie du désespoir :
quand les femmes repassent les seins de leurs filles
Yaoundé, le jeudi 8 juin 2006 –
Et mon sein, où chacun s’est meurtri tour à tour
Est fait pour inspirer au poète un amour
Eternel et muet ainsi que la matière ».
A l’instar de l’auteur français, les femmes camerounaises ont acquis au fil des siècles l’intuition parfaite que le sein est bien l’inspirateur éternel des amours, des amours qui privent les petites filles camerounaises de leur adolescence et de leur chance d’étudier.
Violence de mères en filles
A l’instar de l’excision, le « repassage » des seins est une pratique qui se réalise au coeur des alcôves féminines, en ville comme à la campagne, chez les classes les plus défavorisées comme chez les plus aisées. Mères, tantes, cousines se penchent sur le destin d’une petite fille et s’appliquent à lui faire endurer une insupportable douleur ; le repassage des seins. Le Réseau national des associations de tantines (Renata), au Cameroun, a pour premier objectif de lutter contre les abus et violences sexuelles subis par les adolescents et de dénoncer les différentes pratiques nocives qui existent à l’encontre des jeunes filles. Ce réseau réunit aujourd’hui quelque 61 associations, qui oeuvrent sur le terrain grâce à l’action de 5 000 femmes, le plus souvent des « filles mères ». Les différents témoignages des membres de ce réseau lui ont permis de mettre à jour l’ampleur d’une pratique silencieuse : le repassage des seins. Aussi, le réseau a-t-il demandé à l’Agence allemande de coopération (GTZ) présente à Yaoundé de mener une enquête plus exhaustive. Les résultats ont été présentés la semaine dernière.
24% des femmes camerounaises ont subi le repassage des seins
Dans les dix provinces camerounaises, quelque 5 661 femmes et jeunes filles ont été interrogées. Elles étaient âgées de 10 à 82 ans (moyenne d’âge 12 ans et trois mois). Les témoignages recueillis laissent apparaître que quelque 24% des femmes ont été victimes de repassage des seins. Le repassage des seins étant réalisé par les mères pour soustraire la poitrine naissante de leurs filles au regard des hommes et à celui du père qui y verrait le signe qu,un mariage est possible, la précocité de la puberté accroît considérablement le risque d’en être victime. Ainsi, pour la moitié des victimes, cette terrible violence a eu lieu avant l’âge de 9 ans, dans 38% des cas avant l’âge de 11 ans, pour 24% des femmes à 12 ans et dans 14% des cas à 14 ans.
Au-delà de la volonté des mères de retarder l’heure du premier rapport sexuel de leurs filles ou de leur mariage, afin parfois de leur permettre de continuer à étudier, de très nombreux mythes entourent cette pratique, parfois accompagnée de rituels. L’idée reste ainsi répandue dans certaines provinces que le repassage permettra de voir couler le lait en abondance ; la technique est en réalité à l’origine de nombreuses difficultés au moment de l’allaitement. Outre ces problèmes lors de l’allaitement, de très nombreuses victimes du repassage des seins évoquent les insupportables douleurs de ces séances, qui perdurent longtemps après le repassage.
Pendant plusieurs semaines, chaque matin et chaque soir, les mères appliquent en effet sur le sein de leur fille des pilons ou des pierres à écraser, préalablement chauffées. Dans de très nombreux cas, le repassage s’accompagne en outre du port d’un serre-seins, souvent une simple chambre à air, destinée à effacer les marques de la poitrine naissante. Si 42% des personnes interrogées affirment ne connaître aucune séquelle et aucune incidence sur la taille de leur poitrine, les kystes et abcès sont très fréquents, sans parler des déformations monstrueuses de ces poitrines. Quelque 18% des femmes révèlent ainsi que leurs seins sont « tombés » de manière précoce. Cette terrible pratique, dont on ne parvient pas à définir l’origine et qui s’exerce dans l’ignorance des hommes, est le plus souvent vaine. Le repassage des seins se révèle en effet inutile pour freiner la sexualité des filles et nombreuses sont les victimes de cette pratique qui deviennent à leur tour mères avant l’âge de quinze ans.
Une campagne d’information nationale
La publication des résultats de cette enquête réalisée par Flavien Ndonko a créé un vif émoi au Cameroun où vient d’être lancée une campagne d’information nationale, qui devrait s’étendre pendant un an, afin que nul ne puisse désormais ignorer les ravages de cette pratique. L’agence de coopération allemande et RENATA collaborent pour la mise en oeuvre de cette opération. Dans le quotidien camerounais Mutations, le mardi 30 mai dernier, les responsables de plusieurs organisations appelaient à la pénalisation de cette pratique. « Au même titre que les exciseuses, celles qui pratiquent le « repassage des seins » doivent être réprimées par la loi », demandaient-ils. Une telle mesure permettrait peut-être de rompre l’enchaînement des générations de repasseuses. En effet, si de très nombreuses victimes affirment qu’elles ne pourraient faire subir un tel sévisse à leur enfant, les enquêteurs allemands révèlent que 7% des petites filles avouent s’être infligées elles-mêmes le repassage des seins, honteuses de l’apparition de leur poitrine. Fréquente au Cameroun, cette pratique existe également au Togo et en Guinée.
Source : Sisyphe
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Témoignage.
Repassez » ce sein que je ne saurais voir
Amélie, une jeune Camerounaise, témoigne du « repassage » des seins
C’était il y a douze ans, mais Amélie n’a jamais oublié. Cette Camerounaise de 24 ans est l’une des nombreuses adolescentes dont les seins ont été « massés » à la puberté pour empêcher leur développement et éloigner les garçons. C’est sa mère qui s’est chargée, avec une pierre brûlante, de « repasser » sa poitrine, qui garde encore les stigmates de cette coutume.
Mardi 6 juin 2006, par Habibou Bangré
« A 12 ans, quand j’ai eu un peu de seins, mes parents étaient inquiets. Ils avaient peur que j’attire les garçons. Un jour, ma mère m’a appelée et elle a commencé à me masser les seins avec une pierre chauffée dans le feu. Elle avait un chiffon pour ne pas se brûler et a posé la pierre brûlante sur moi. Elle disait qu’il fallait que la pierre soit bien chaude pour casser le ‘noyau’ qu’il y a quand les seins poussent. Ça faisait très mal. Quand elle massait, je criais tellement que les voisins venaient voir ce qui se passait dans la cuisine.
Parfois, je fuyais et je restais dans un coin parce que j’avais peur qu’elle recommence. Quand je revenais, elle faisait comme si elle n’allait plus le refaire et on parlait de choses et d’autres. Au moment où je voyais la pierre auprès du feu, c’était trop tard et elle m’avait déjà arrêtée. Certains voisins justifiaient ce que ma mère faisait estimant que c’était bon pour éviter aux garçons de me tourner autour, alors que d’autres lui demandaient d’arrêter. Mais ma mère ne les écoutait pas. Tout ça a duré trois mois, matin et soir. Mon père ne l’a jamais su parce qu’il n’était pas là quand ma mère le faisait.
« Parfois, ma mère me demande pardon »
Finalement, ma mère a pu écraser le ‘noyau’ et mes seins sont partis. Ils sont revenus plus tard, mais tout petits. Et je pense que j’aurais dû avoir beaucoup de seins car ma mère en a en quantité. A cause de ça, je me sens vraiment gênée. Pour tout dire, je ne peux pas porter les habits que je veux et je dois porter des soutiens-gorge rembourrés. Ces petits seins me troublent. Je ne vois pas comment plaire comme ça. Avec les hommes, c’est vraiment difficile. Certains se sont moqués de moi et ça dure jusqu’à présent. Un ami m’a dit : ‘Si tu n’as pas de seins, ça ne vaut pas la peine’ ».
Même après ma grossesse, je n’ai pas eu beaucoup de seins, comme je l’espérais. Au début, j’avais même des problèmes pour allaiter et j’ai dû suivre un médecin. Il m’a prescrit des médicaments pour que le lait monte. A cause de la pierre brûlante, j’ai des petites tâches de brûlure qui sont restées, même si certaines sont parties avec le temps. Et j’ai toujours mal aux seins. J’en veux vraiment à ma mère. Je lui ai parlé de ça maintes fois. Parfois, elle me demande pardon, mais ça ne me dit rien car c’est déjà fait. Ma fille a aujourd’hui quatre ans et jamais je ne lui masserai les seins. »
Source : http://www.afrik.com/
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