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BD – Bernard Cosendai (dit Cosey) au Coeur du Tibet…

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14.12.2008

1835coseyi.jpgBernard Cosendai dit Cosey est un dessinateur et scénariste suisse. Il fait d’abord son apprentissage comme illustrateur dans une agence de publicité. Ensuite, il est coloriste des séries Go West, Yakari et Buddy Longway pour Derib. Ce dernier l’encourage à faire de la BD. André-Paul Duchâteau lui écrit quelques histoires qui sont publiées dans le journal Le Soir. Puis, il crée seul le personnage de Jonathan pour un one shot. Il devient auteur complet. Le succès est tel qu’on lui demande une suite. Jonathan devient une série. Mais, Cosey conçoit chaque album comme un one shot. En 1979, il reçoit le Grand Prix Saint-Michel.

Des portraits profondément humains…

Parallèlement à Jonathan, Cosey raconte des histoires indépendantes qui font le régal du public. Dans «A la recherche de Peter Pan», il est question d’introspection, de bilan, d’une crise psychologique, d’amour, de nostalgie, de poésie, de beauté. Un écrivain anglais, Melvin, voyage dans les Alpes valaisannes sans vraiment savoir pourquoi. Est-ce pour trouver l’inspiration? Est-ce pour retrouver le souvenir de son demi-frère Dragan? Est-ce pour faire le point sur sa vie ? Cosey nous fait comprendre qu’il faut voir le passé sous un angle différent pour pouvoir écrire l’avenir. Sur fond de neige, on ne peut s’empêcher d’être captivé par l’atmosphère mystérieuse de cette aventure qui se termine par une histoire d’amour. «Voyage en Italie» est une très belle histoire d’amitié et d’amour. Ian et Art aiment la même femme Shirley. Elle les a aimés tous les deux avant leur départ pour le Vietnam. Ils en reviennent marqués en profondeur. Quinze ans plus tard, les deux amis retrouvent Shirley en Italie. Elle est accompagnée d’une enfant, Keo, qui touche le cœur des deux hommes. C’est sans doute une des meilleures histoires de Cosey. On est touché par la souffrance des personnages et par leur façon de se sublimer. Pour «Orchidea», Cosey évoque la difficulté des relations familiales, les liens du sang, le devoir, les clichés, les idées reçues. Trois frères et soeur décident de fêter leur père, l’honorable professeur à la retraite Ellsworth. Mais, ce dernier a disparu avec Rosita, une serveuse. Ils partent à sa recherche et retrouvent un homme plein de jeunesse qui a encore des choses à leur apprendre. Rosita est enceinte d’Orchidea. On ne peut s’empêcher d’être émus par les rapports tendres entre les personnages.

La complexité et la richesse des sentiments…

«Saigon-Hanoi», c’est la souffrance, la solitude, l’amitié, la richesse des relations humaines. Homer a fait le Vietnam et regarde le reportage auquel il a participé vingt ans après. Il a fraternisé avec l’ennemi d’hier. Felicity a treize ans. Le soir du réveillon, elle téléphone au hasard. Elle tombe sur Homer et brise sa solitude. Un plaidoyer pour les âmes seules et leur souffrance. «Zélie Nord-Sud» est un album hybride, entre le récit de voyage, le retour aux racines, et le documentaire sur la coopération suisse au Burkina Faso. Dépaysement, évasion pour le lecteur. Zélie, une jeune africaine, vit en Suisse. Elle décide de retrouver ses origines et part pour le Burkina Faso. C’est sans aucun doute l’histoire indépendante la moins bonne de Cosey. Avec «Joyeux Noël, May», Cosey approfondit nos connaissances de la psychologie féminine. Tallulah, une jeune beauté locale instable et dévergondée, rend visite à sa mère pour les fêtes mais Juniper, une romancière, occupe sa roulotte. La relation entre les deux femmes est d’abord entachée d’hostilité, puis, Tallulah décide d’aider Juniper quand elle apprend le but de sa visite. Complicité, amitié font le sel de ce récit. Le dénouement est totalement inattendu.

L’amour, ciment éternel de toute relation…

«Zeke raconte des histoires» montre, avec un certain humour, la complexité des relations mère/fils. Sur les rives du Mékong, Zeke, ex-star du rock, est devenu animateur de cinéma et raconte des histoires. A New-York, sa mère s’échappe de son asile pour déclamer Roméo et Juliette. Après vingt ans sans se voir, Zeke et sa mère vont se retrouver. L’intrigue est mince et l’album un peu indigeste. «Une maison de Frank L. Wright» raconte quatre histoires où l’amour joue un rôle capital: l’amour de jeunesse, l’amour idéalisé, l’amour perdu. On est sous le charme du conte, du verbe et de l’image à travers des portraits bien léchés. «Le Bouddha d’Azur» est à nouveau une histoire d’amitié puis d’amour dans de magnifiques décors. Cosey y a mis tout ce qui compte pour lui: la quête de soi, le récit initiatique, le voyage, l’aventure et la chasse au trésor. Gifford, un jeune anglais fugueur, et Lhal, réincarnation d’une mystique tibétaine et gardienne d’un trésor (un Bouddha géant en or pur) se sont rencontrés adolescents dans une lamaserie. Ils se sont de suite aimés et ont été séparés par les troupes chinoises. Depuis 13 ans, Gifford essaie de retrouver Lhal, son amour de jeunesse. Cet album est une véritable réussite sur tous les plans. En général, chaque album indépendant d’une série parvient à nous surprendre. Il faut saluer le souci de documentation et la toile de fond historique (c’est vrai aussi pour la série Jonathan). Graphiquement, Cosey maîtrise à merveille le blanc. Son trait simple et pur, son découpage facilitent la lecture.

Un héros proche de nous!

Avec Jonathan, Cosey va développer sa propre conception de l’amour et de l’amitié. Jonathan, un suisse, est amnésique. Il retourne au Tibet pour retrouver la mémoire. Il finit par se rappeler : il a aimé une tibétaine Saïcha qu’il a connue enfant. Elle a été tuée dans un bombardement par les chinois. Il affronte ses souvenirs et les rebelles tibétains. Au départ, c’était un one shot qui nous montre la souffrance d’un homme qui a perdu un être cher. Il y a aussi l’amitié que des tibétains lui offrent spontanément pour lui faire comprendre qu’il n’est jamais vraiment seul. Cosey plante le décor de son histoire au Tibet. La toile de fond est le conflit Tibet/Chine. Il nous invite à réfléchir sur la situation du Tibet, sa religion, sa philosophie. Au fil des années, il va lui-même aller plus loin dans la compréhension de ce peuple. Pour donner un parfum d’authenticité à son histoire, Cosey raconte sa rencontre avec Jonathan. (Souviens-toi, Jonathan) Dans l’épisode suivant, Cosey reprend le thème de l’amitié. Celle-ci implique le pardon. Un avion chinois rempli de caisses d’armes s’écrase au Tibet. Jonathan sauve la vie du pilote. Les armes vont susciter toutes les convoitises. Pour les rebelles tibétains, c’est une aubaine dont ils vont profiter au prix de terribles sacrifices. Jonathan découvre que le chinois qui lui sauve la vie est celui qui a tué celle qui l’aimait (Et la montagne chantera pour toi).

Un tableau destiné aux rebelles…

Ensuite, Cosey aborde la relation adulte/enfant et toutes ses possibilités de richesse, de tendresse et d’amour. Jonathan apprivoise Drolma, une enfant sauvage attachante qui se révèle être une princesse. Elle le sauve aussi en l’aidant à sortir de lui-même. Il l’adopte. Cela éveille en lui des sentiments paternels mais il n’est pas encore prêt pour avoir une relation amoureuse (Pieds nus sous les rhododendrons). L’opus suivant est construit comme un thriller passionnant plein de suspense. Jon accepte d’être le guide d’une expédition vers un monastère bouddhiste tibétain. Il découvre, grâce à Drolma, que les membres de l’expédition sont venus tuer l’enfant sacré, réincarnation du Dalaî-Lama (Le Berceau du Bodhisattva). Puis, c’est l’histoire d’un homme qui aimait la beauté et de ses sentiments paternels pour une fière guérilléra tibétaine, Shangarila. Jonathan rencontre un vieux colonel anglais dans son château construit au Tibet. Ce dernier s’occupe de Shangarila, une rebelle, comme si c’était sa fille. Avant de mourir, il décide de restituer sa collection de tableaux aux musées sauf un qui doit être vendu pour acheter des armes destinées aux rebelles (L’espace bleu entre les nuages).

Du récit d’aventure au thriller…

«Douniacha, il y a longtemps» fait la part belle au surnaturel, aux faits réels inexpliqués, aux pouvoirs paranormaux. Un rêve prémonitoire de Drolma conduit Jon à rencontrer un russe parachuté dans la région et traqué par les chinois. Jon essaie de le sauver. Il raconte l’émouvante histoire d’amour de ses parents. Cosey adore ce genre de récit. Dans «Kate», on découvre que Jonathan est prêt pour une relation amoureuse. Il rencontre Kate, une jeune américaine, à la recherche du «Château de l’oiseau blanc». Leur amitié se transforme peu à peu en amour. La quête de Kate se termine par un retour au côté spirituel de toute chose. Mais, Kate est malade et est psychologiquement très fragile. Pour «Le privilège du serpent», Cosey renoue avec le thème de l’amitié et de sa fragilité. Jonathan retrouve un vieux copain, Casimir, devenu psychologue sans avoir fait d’études. L’amie de Casimir est enlevée par les rebelles et Jonathan (le Saint-Bernard) part à sa recherche. Casimir élabore des théories sur la vie humaine qui imitent parfois la vie animale (celle du serpent qui mue). «Neal et Sylvester» est une histoire forte sur le passage du monde de l’enfance à celui de l’adulte. Jonathan aide Neal, un jeune garçon, à retrouver son père que tous croient mort. Neal a un ami imaginaire: Sylvester. Son courage et son obstination vont s’avérer payante. C’est une véritable leçon de bravoure. On renoue avec le thriller dans «Oncle Howard est de retour» et «Greyshore Island». Jonathan retrouve Kate pour des moments de bonheur intense. Son oncle sort de prison après avoir purgé une peine pour un délit qu’il n’a pas commis. Kate se fait enlever. Jonathan fera tout pour la retrouver. Le dénouement apporte deux surprises de taille à la grande joie de Kate et de son oncle. Suspense garanti. On adore !

Au cœur de la culture tibétaine

L’album suivant «Celui qui mène les fleuves à la mer» nous plonge encore plus loin dans la connaissance du Tibet, des tibétains et de l’oppression chinoise. C’est à nouveau le thème de l’amitié qui transparaît en filigrane. Il y a plusieurs années, Jonathan faisait de la musique avec des amis tibétains. Aujourd’hui, ils veulent quitter le pays. Certains font partie de la chorale de l’armée chinoise comme Jung, une jeune femme chinoise, colonel dans l’armée. Les sentiments de Jonathan s’éveillent pour Jung. C’est la première fois que le lecteur se sent vraiment impliqué dans les souffrances des tibétains. C’est un appel à l’aide. «La Saveur du Songrong», peut être considérée comme une suite de l’épisode précédent. L’objectif des chinois est de détruire la culture tibétaine en brûlant tous les écrits idéologiques. Jonathan est là pour favoriser l’évasion de celle qu’il aime, le colonel Jung, qui a été punie pour avoir soutenu un poète dissident. Jonathan fera tout pour elle et pour faire passer en occident un texte sacré. On pénètre dans la vie intime des tibétains qui parviennent à garder leur identité malgré les brimades chinoises. Cette fois, l’aventure est plus réelle et plus dangereuse et Jonathan lui trouve un goût amer. A propos de la série Jonathan, on peut dire qu’elle nous a fait rêver et qu’elle nous apporté des valeurs précieuses ainsi que des sensations fortes. Le dessin réaliste et précis de Cosey sert à merveille les fabuleux récits qui nous sont contés. Il tire très bien profit de ses repérages et photos sur le terrain. Il ajoute une dimension musicale en proposant des titres de chansons à écouter pendant la lecture de l’album.

Vers la paix intérieure…

Dans «Elle ou Dix mille Lucioles», Jonathan accompagne un médecin en Birmanie. Il poursuit son journal, prend des cours de bouddhisme et aide les opposants au régime. Une fois de plus, Cosey dénonce la politique d’oppression des autorités en place. C’est un épisode très statique. Il ne s’y passe que des choses intérieures aux personnages. Il n’y a quasi pas de dialogues, mais un long récitatif qui se déroule pendant tout l’album. Manifestement, quelque chose a changé dans la façon dont Cosey conçoit les aventures de Jonathan. Les décors sont toujours superbes mais ce qui compte c’est l’aventure intérieure, la quête de soi. En l’occurrence le cheminement philosophique de Jonathan. C’est aussi une invitation au voyage. Mais, on est loin des récits du début qui privilégiaient l’action. On est un peu déçu de cette non-aventure, malgré le graphisme superbe de l’album. A force de se centrer sur l’aventure intérieure, sans véritable action, Cosey risque de se couper de ses lecteurs.


Marc Bauloye

Jonathan T14 Elle ou Dix mille Lucioles Cosey Lombard

Source : www.graphivore.be

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