DES MITRAILLETTES DANS LA HOTTE DU PÈRE NOËL
10.12.2008
Notre mode de penser, nos conceptions et nos croyances sont conditionnés par ce que nous voyons, entendons et apprenons. Cela nous amène à agir d’une certaine façon. Choisir entre le bien et le mal, c’est choisir de penser, de réagir et d’agir avec des moyens différents. Définir ce qui engendre le bien et le mal, voilà une question profonde qui demande une vigilance quotidienne. Au vu des produits-phare de Noël, la vigilance peut devenir inquiétude.
Où est le bien ? Où est le mal ? Ces valeurs s’imbriquent l’une à l’autre et sont relativisées par la conscience de chacun. Néanmoins, on peut quand même concevoir que le bien apporte l’harmonie, le bonheur, la paix, qu’il est une valeur constructive. Le mal vit à travers la jalousie, l’orgueil, la soif de pouvoir, la possession. Il entraine le crime, le vol, la destruction. Il semble que la grande majorité de l’humanité se retrouve dans cette définition qui reste toutefois bien théorique.
La religion chrétienne comme le bouddhisme recommandent la bienveillance. Ne pas rendre les coups ni les insultes. Dans le bouddhisme, si quelqu’un nous fait du mal, c’est parce que nous l’avons blessé dans le passé, voire dans une autre vie. Sinon, il commet un méfait et devra nous le rendre dans le futur. Dans un monde où l’on veut tout immédiatement, accepter l’idée que la vie ne s’arrête pas à la mort et ne débute pas à la naissance (pour le bouddhisme) et que par conséquent, beaucoup des avantages que nous proposent les religions sont perçus après la mort demande une sacrée dose de foi pour y croire et accepter du fond du cœur les exigences liées.
Croire en un idéal qui n’est pas mis en pratique par les propres serviteurs de cette foi est particulièrement difficile. Le comportement des églises n’a pas toujours été exemplaire et la majorité d’entre nous ne croient plus en la religion. Même ceux qui vont à l’église ont bien de la peine à mettre en pratique l’enseignement. Pourtant, nos cœurs ont encore besoin d’un idéal dans lequel croire et qui permette de vivre dignement. Alors certains assouvissent leur besoin de spiritualité dans des sectes, d’autres le noient dans les dépendances ou dans une course acharnée au matérialisme.
Un besoin de surnaturel captive jeunes et moins jeunes. Ces dernières années, les films de magie, de mondes parallèles ont connu une ascension vertigineuse. Est-ce un besoin de fuir une société triste et impersonnelle ? Est-ce le désir d’un monde où les rêves les plus fous peuvent se réaliser ? Sont-ils comme le disent certains croyants, le moyen que « Satan » a trouvé pour préparer les hommes à sa venue ? Ou de simples contes pour enfant ?
Entre ces deux positions extrêmes, nous pouvons aborder ces films au delà de la simple notion de divertissement sans conséquences, en nous penchant sur les messages qu’ils nous transmettent. Si l’on accepte le fait que les livres et les films, en pénétrant dans notre cerveau vont imprégner notre conscient et notre inconscient, les messages qu’ils transmettent vont forcément avoir une influence sur notre mode de penser et notre comportement. À fortiori pour les enfants qui sont comme des éponges absorbant toutes ces valeurs sans aucun filtre puisqu’ils n’ont aucune expérience à mettre en parallèle.
Prenons l’exemple d’Harry Potter. Ce jeune adolescent vit dans une famille qui le maltraite. Il a des pouvoirs magiques et suit une école qui lui apprend à les utiliser. Il est facile de s’identifier à lui. Il souffre comme beaucoup de gens, il est sympathique, lutte contre le mal (sans jamais le vaincre vraiment) pour protéger ses amis. Mais la notion de bien et de mal est très confuse, et c’est la force de la magie qui prend le plus de place.
Le succès de la série des Harry Potter vient-il du fait qu’il propose une échappatoire facile, un « divertissement » – au sens étymologique du terme- de la recherche d’une compréhension de la différence entre bien et mal ? Autant pour un adulte une opposition trop claire entre les « deux côtés » appelle les clichés du manichéisme et du simplisme, autant pour les enfants le manque de distance peut créer une confusion qui risque de troubler leur futur jugement de valeurs. Au delà de l’utile notion que mal et le bien sont effectivement en chacun de nous, Harry Potter oublie de montrer que les choix que nous faisons impliquent des conséquences qui n’existent pas dans ces films. Ces conséquences sont déjà vécues par certains jeunes fascinés par la magie sans avoir maturé leur expérience du réel, et dont l’adolescence se passe dans une confusion mentale pouvant les mener à la dépression.Sans dramatiser la situation, le phénomène n’est pas anodin, les parents qui ont vécu cette situation peuvent en témoigner.
Cet article sera notre « coup de gueule » à l’approche d’un Noël qui voit se présenter côte-à-côte les grandes espérances à travers un reste de féérie et la joie des enfants, et la vente à tire-larigo de DVD et jeux vidéo prônant violence, pouvoir et malhonnêteté. Nous l’acceptons comme un fait inéluctable, d’autant qu’ils sont en haut de la liste des préférences de nos pré-ados et ados pour les fêtes de fin d’année. Or, dans ces films, ces histoires, le « bien » utilise les armes du « mal » pour triompher. Quelle est alors la différence entre le bien et le mal ? Nous admirons un pirate ou un voleur mais nous maudissons celui qui nous dépouille au coin d’une rue.. Il semble que mettre en avant des sentiments nobles s’apparente aujourd’hui, dans la vie comme à l’écran, à de la niaiserie. Ce sont pourtant ces sentiments à contre-courant du culte de l’apparence et du pouvoir qui permettent d’élever et de nourrir positivement l’esprit.
La bienveillance, la droiture et l’honnêteté sont des valeurs qui apportent le bonheur. Cela ne veut pas dire qu’il faut être dupe, lâche ou donner un bâton pour se faire taper. Ce qui est inéluctable ne peut être repoussé, nous ne pouvons vivre dans le bonheur parfait. Accepter de perdre et pardonner nous apporte une paix intérieure. Lâcher prise, prendre du recul nous permet d’être en meilleure santé physique et psychique. Se comporter avec droiture favorise la confiance et l’amitié. La bonté généreuse est l’arme favorite du bien. Elle offre à celui qui la reçoit des émotions positives qui lui permettront bien souvent de la développer lui-même. « L’esprit de Noël » qu’on soit laïc ou croyant, devrait véhiculer ceci. Mais cela ne se trouve ni en DVD, ni en jeu vidéo, ni dans ces figurines-jouet bardées de mitraillettes et aux dents acérées qui garnissent tous nos supermarchés. Alors flûte ! Mais non Noël malgré tout.
Par Catherine Keller
Source : www.lagrandeepoque.com – Genève