Aujourd’hui beaucoup de femmes dans le monde n’ont pas accès à l’éducation, aux services de santé, au micro-crédit, à la justice et à l’emploi.
Il n’y a pas un modèle unique qui conviendrait à toutes les sociétés, mais l’égalité entre les hommes et les femmes est un facteur essentiel pour réussir un développement durable et faire reculer la pauvreté.
En général, le succès du respect des droits de la femme résulte d’un certain contexte : une présence importante au parlement, au gouvernement, dans la justice, l’existence d’associations féminines puissantes et l’éducation pour les filles.
Le cadre institutionnel d’un pays joue un rôle déterminant pour les femmes qui y vivent.
L’étude Morrisson et Jütting de 2004 faite sur 66 pays, a montré que la condition de la femme est nettement défavorable dans 3 régions du globe : Afrique subsaharienne, MENA et Asie du Sud. L’Inde fait partie de cette dernière région.
Afin de pouvoir mesurer les inégalités entre hommes et femmes, 2 indicateurs ont été mis au point. L’indicateur ECO mesure la liberté de la femme, l’héritage de la femme en cas de mort du mari et l’accès de la femme au capital. L’indicateur NON_ECO mesure la polygamie, les mutilations génitales, l’autorité parentale et les femmes mariées de moins de 19 ans.
Les chiffres que je pourrais évoquer dans mes propos sont basés sur les différentes études :
Morrisson et Jütting 2004
étude du Centre de Développement de l’OCDE
Devendra 1994
Dyson et Moore 1983
LA SITUATION EN INDE
Quel est l’intérêt de parler de la place de la femme spécifiquement en Inde?
Avec le nombre de sa population, le nombre de femmes qui se voient bafouer leurs droits est énorme. En Inde, environ 500 millions de femmes souffrent de discrimination dans de nombreux domaines. C’est ainsi le premier pays du monde pour le nombre de femmes qui sont soumises à un statut très inégalitaire par rapport aux hommes. (Ce qui ne veut pas dire que toutes les femmes indiennes sont discriminées…)
Un État des lieux
Mais selon les régions d’Inde, les femmes subissent plus ou moins d’inégalités.
En Inde, les principaux facteurs définissant cette discrimination sont
l’importance des mariages précoces (39% avant 19 ans), les fréquentes discriminations lors de l’héritage entre filles et fils, l’autorité paternelle sur les enfants, la pratique du purdhah (20 à 30% de femmes, ce qui leur interdit de quitter seule le domicile), l’obstacle à l’accès à la propriété dans le nord de l’inde, l’accès à l’éducation et l’accès aux services de santé.
Le purdhah est une pratique empêchant les hommes de voir les femmes. Ainsi celles-ci ne peuvent pas quitter leur domicile sans leur mari.
L’espérance de vie des femmes est plus faible que la normale. Il est de -4,9 par rapport à l’homme (+5,9 d’écart normal).
Les parents font plus soigner les garçons malades que les filles malades. Adultes, les femmes ont également moins accès aux soins, avec un taux de mortalité maternelle à 4,4 pour 1000.
Par rapport à l’emploi, le femme est très discriminée. Dans les salariés, on ne compte que 17% des femmes, et 3% parmi les managers.
Sur le plan Juridique
Contrairement à de nombreux pays, l’Inde a voté des lois depuis plusieurs décennies pour faire respecter les droits de la femme. Mais rien n’a significativement changé au Nord et légèrement dans le sud du pays.
Petit retour historique :
En 1829-1830, la coutume du sati est déclarée illégale. Cette pratique est le symbole du dévouement total de la femme à son mari, qui consiste pour la veuve à monter sur le bûcher du défunt et mourir brûlée vive.
En 1870, l’infanticide des filles est interdit et l’enregistrement des naissances est obligatoire
En 1891, le mariage des filles ayant moins de 12 ans est interdit. En 1929, cet age est monté à 14 ans.
Après l’indépendance, Nehru crée le code hindouiste. Ce code ne concerne que les hindouistes et pas les musulmans. En 1955 il interdit la polygamie et relève l’âge du mariage à 15 ans puis à 18 ans en 1976.
En 1954, les mariages entre castes et religions différentes sont autorisés.
En 1961 la pratique de la dot est interdite.
En 1971, l’avortement est légalisé
En 1976, l’égalité des salaires entre hommes et femmes doit être respectée.
Malgré toutes ces lois, la condition réelle de la femme est bien différente.
Le sati a été pratiqué jusqu’en 1980.
L’infanticide est toujours pratiqué. Cette pratique a même augmenté. L’avortement lors de la découverte d’un fœtus fille est souvent employé.
La dot est toujours pratiquée. Le nombre d’assassinats de femmes pour cause de dot insuffisante a augmenté dans les années 80.
Dans le Nord du pays, plus de la moitié des femmes se sont mariées avant 15 ans.
Les salaires sont extrêmement différents pour les hommes et pour les femmes. Le gouvernement lui-même paye 30 à 40% de moins une femme pour un poste identique. Pour l’accès à l’emploi, les femmes subissent de grandes discriminations sauf dans l’agriculture.
Pourquoi l’Inde est dans cette situation?
L’Inde est le pays où l’écart entre la réalité et les lois est le plus grand.
Cette résistance aux lois peut s’expliquer par la religion (Devendra 1994).
L’Inde est hindouiste à 85% avec une minorité musulmane à moins de 15%.
L’hindouisme détermine énormément la vie de la femme en Inde. Mais les femmes musulmanes en Inde ont une situation encore plus défavorable.
L’analyse par état montre que 2 états se différencient par la condition de le femme. Le Kerala et le Punjab sont spécifiques car l’un est constitué essentiellement de chrétien et l’autre de sikh.
Une autre explication qui peut être avancée est une séparation de l’Inde en États.
Les facteurs montrant les discriminations envers les femmes sont presque 2 fois plus importants dans le Nord que dans le Sud du pays.
Lorsqu’on parle du Nord et du Sud, la limite est la rivière Narmada. Au Nord on trouve une société aryenne, alors qu’au Sud c’est plus une société dravidienne.
Les états qui leurs sont plus difficiles pour les femmes sont l’Uttar Pradesh et le Rajasthan et les états les plus favorables sont le Kerala et le Tamil Nadu.
– L’accès à l’enseignement est plus élevé dans le Sud que dans le Nord avec une quasi égalité dans le Sud entre les hommes et les femmes.
– L’accès à la santé est très nettement meilleur pour les hommes, avec une moins grande différence dans les états du Sud.
– L’accès au travail a bien évolué dans le Sud, tandis que les femmes n’y sont pas beaucoup acceptées dans le Nord.
Ce retard dans le Nord est dû à l’interdiction quasi totale pour les femmes de quitter leur domicile seule, et c’est également dû à un fort taux d’analphabétisme.
Par contre, les femmes travaillent quand même à 20% dans le nord grâce à l’agriculture. Le Sud ne comptant que 28% de femmes actives.
Depuis le vote de ces lois, le Sud du pays commence à les respecter, alors que le Nord est encore bien ancré dans les traditions.
Une des causes pourrait être due aux structures familiales traditionnelles (Dyson et Moore 1983).
Dans le Nord, les épouses ne doivent avoir aucun lien de parenté avec leur mari et doivent venir d’un lieu éloigné. Le lien de parenté reste entre homme. La femme vie donc en marge de ces relations.
Dans le Sud, on place le mariage entre cousins comme référence. Les femmes se marient avec des personnes qu’elles connaissent. La condition de la femme est ainsi meilleure.
La cause peut également être historique.
D’après Devendra, cette condition serait due à l’invasion musulmane.
Dans le Nord, les invasions musulmanes datent du 10ème siècle et sont restés jusqu’à la colonisation anglaise. Dans le Sud cette invasion n’a été que très brève.
D’après Devendra, la situation de la femme a empiré avec la domination musulmane. La pratique de la purdah n’existait pas avant l’arrivée musulmane.
Mais Devendra reconnait aussi que la loi hindouiste défavorise aussi la femme.
Ainsi les invasions musulmanes n’auraient fait qu’aggraver la situation.
Mais l’Inde se situe dans une situation spécifique. Un état fédéral avec une population de plus d’un milliard d’habitants avec un taux d’urbanisation faible. Faire respecter les lois dans ces conditions paraît difficile.
Le cadre fédéral donne moins de pouvoir à l’État indien. Certains états résistent à l’état indien.
En effets, ce sont les états qui décident de faire respecter une loi ou non sur leur territoire.
Un autre obstacle est la diversité des cadres juridiques. Certaines lois ne s’appliquent qu’à la population hindouiste et pas musulmane, qui elle, est soumise au code islamique.
L’Inde est majoritairement rurale. Il est plus difficile de faire respecter des lois dans les campagnes que dans les villes.
Par exemple, on constate qu’à Delhi qui contient plus de 14 millions d’habitants, la condition de la femme est bien meilleure malgré sa localisation dans le Nord du pays. En effet, le poids des traditions est beaucoup plus faible à Delhi.
Comment faire évoluer les choses?
Les lois ayant déjà été votées depuis longtemps, on ne cherche pas a faire voter de nouvelles lois, mais à les faire respecter.
Pour faire respecter les lois, il faudrait tout d’abord que les femmes soient éduquées. mais pour cela, il faudrait changer le cadre institutionnel.
En effet ce cadre institutionnel empêche les femmes d’avoir accès à l’éducation. Et les femmes analphabètes sont alors recluses chez elles.
L’étude des régions permet de montrer que lorsqu’il y a une conjonction des facteurs (pauvreté, analphabétisme des femmes, société rurale, traditions religions abaissant la femme, famille patrilinéaire), alors il est difficile de faire évoluer la situation.
Il est probable qu’en premier lieu, ce sont les états du Sud qui feront respecter les lois en totalité, suivis par les états du centre, pour finir par les états du Nord.
Mais pour cela, il faudra plusieurs décennies. Ce processus est long mais c’est un gros travail de faire disparaitre un cadre social dominant depuis plus de 25 siècles.
Amélie Delaporte-Digard pour www.buddhachannel.tv
Photos d’Amélie Delaporte-Digard