« LEVER LE POING N’ÉTAIT PAS VIOLENT MAIS C’ÉTAIT UN GESTE FORT »
09.04.2008
<< MEXICO, LE 16 OCTOBRE 1968. John Carlos, 3e du 200 m, et Tommie Smith (médaille d'or).
HIER, LA FLAMME olympique est arrivée à San Francisco (Etats-Unis). Un spectateur un peu particulier suit les manifs des militants des droits de l’homme avec intérêt. Il y a quarante ans à Mexico, John Carlos, aujourd’hui âgé de 62 ans, médaille de bronze sur 200 m, et Tommie Smith, médaille d’or, levaient leur poing sur le podium contre la discrimination raciale.
Joint hier par téléphone, il nous répond depuis la Californie.
Avez-vous été surpris par les manifestations de Paris ?
John Carlos. Pas du tout. Des manifestations s’organisent un peu partout dans le monde, le mouvement prend de l’ampleur et j’espère qu’il va se poursuivre. Je suis cela avec intérêt sur Internet. Beaucoup de gens se sentent concernées par les droits de l’homme et veulent faire entendre leur voix.
Est-ce une bonne chose d’éteindre la flamme, symbole de l’esprit olympique ?
Ces manifestations ne sont pas violentes. J’approuve tout ce qui montre à la Chine ce que nous pensons de l’action de son gouvernement. L’idéal serait de pouvoir s’asseoir autour d’une table, de parler des droits de l’homme en Chine. Mais les Chinois refusent.
Si vous aviez 20 ans aujourd’hui, participeriez-vous aux Jeux de Pékin ?
Bien sûr. Tous les athlètes doivent y aller. Les sportifs qui n’ont pas participé aux Jeux de 1968 en signe de protestation sont blessés à vie car ils n’ont pas réalisé leur rêve.
Que conseillez-vous aux athlètes ?
Je partage la position du président français qui encourage les sportifs à participer aux Jeux, mais envisage peut-être de ne pas assister à la cérémonie d’ouverture. C’est la méthode la plus efficace. Si toutes les nations boycottent la cérémonie d’ouverture au nom de l’éthique et de la morale, soyez certain que la Chine entendra cet avertissement.
Les JO sont-ils le bon endroit pour faire passer des messages politiques ?
Tous les endroits sont bons pour défendre une cause et lancer un message. Faites-le dans une arrière-cour, vous ne serez pas entendu. Il faut une vaste tribune pour être entendu et vu.
SAN FRANCISCO (ETATS-UNIS), SAMEDI.
Quarante ans après son geste symbolique, John Carlos, aujourd’hui âgé de 62 ans, a participé au relais pour les droits de l’homme en Californie . (AP/GEORGE NIKITIN.) >>
Lèveriez-vous encore le poing aujourd’hui ?
Je ne sais pas ce que je ferais, mais bien sûr que j’agirais pour exprimer mon désaccord avec la Chine, avec ce gouvernement qui ne respecte pas les droits de l’homme, et encourage le génocide au Darfour. J’ignore quel geste je choisirais. A l’époque, c’était le bon. Lever le poing n’était pas violent, mais c’était un geste fort. Nous avons fait prendre conscience au monde entier que des populations souffraient aux Etats-Unis, que là où on croyait que tout était rose on considérait les hommes de couleur différente comme des citoyens de seconde zone.
Qui a eu l’idée de monter sur le podium pieds nus et de lever le poing ?
Je peux répondre que c’est mon idée, mais je suis sûr que Tommie Smith (médaillé d’or) affirme que c’est la sienne (rires). L’essentiel n’est pas de savoir qui a eu l’idée, mais de l’avoir fait.
Est-ce que vous évoquez aujourd’hui cet épisode avec vos petits-enfants ?
Non. Une seule fois, ils sont rentrés de l’école après un cours d’histoire et m’ont demandé : « Papy, papy, raconte-nous. »
Propos recueillis par François Vignolle et Emeline Cazi
Source : www.leparisien.fr