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La distinction des sexes est une convention

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La distinction des sexes n’est qu’une convention…


Au commencement des choses, pourtant, rien ne laissait présager qu’une telle ambivalence eut dû finalement se manifester.
Il n’existe que peu de textes, dans le canon bouddhique ancien, qui traitent de la question des origines. Pas de Création, au sens où on l’entend dans les religions monothéistes. Selon la cosmologie bouddhique, les univers se succèdent indéfiniment au sein d’un cycle de croissance et de dégénérescence successives. Il n’y a pas de commencement, à proprement parler, et le Bouddha précise : « On ne peut connaître l’origine de ce cycle incessant de naissances et de morts, de tout ce monceau de souffrance… ». Mais on peut s’en libérer, et cela seul importe.

Un texte pourtant, l’Aggañña-sutta, propose un récit qui explique comment (mais non pourquoi…) les choses apparaissent. La distinction des sexes, mâle et femelle, y est abordée.


Lorsqu’un univers se déploie, les êtres sensibles renaissent tout d’abord dans des « domaines divins » ; puis, après un long temps, l’univers se rétracte. « A cette époque-là, des êtres naissent dans ce monde. Créés par leur propre pensée, nourris de joie, ils irradient leur propre lumière. Ce monde est alors constitué uniquement d’une vaste couche d’eau, dans l’obscurité totale : la lune et le soleil ne se manifestent pas ; les femelles et les mâles ne se manifestent pas non plus : les êtres sont considérés simplement comme des êtres. »


homme-femme.jpg


Suit alors diverses dégénérescences successives… Une matière savoureuse apparaît d’abord à la surface de l’eau, « comme l’écume qui se forme à la surface du lait bouilli. Un être la goûte et la trouve agréable. Le désir entre en lui. D’autres êtres font de même et la trouvent eux aussi agréable. Et le désir entre en eux. Alors, les êtres se nourrissent et, ayant agi ainsi, leur corps perd sa propre lumière irradiante ; la lune et le soleil apparaissent, puis la nuit et le jour, les mois, les saisons et les années. Vient un temps où les êtres qui se nourrissent voient leur corps devenir rudes ; certains ont une complexion belle, d’autres laide. Les êtres beaux sont fiers d’eux-mêmes et, lorsqu’ils ont cet orgueil, la matière savoureuse disparaît et ils s’exclament « Quelle saveur ! Quelle saveur ! », tout en la regrettant. »


D’autres nourritures apparaissent puis disparaissent à leur tour : champignons succulents, puis lianes tendres… le riz, enfin, dont les êtres se nourrissent, matin et soir, sans avoir besoin de le cultiver. « Et leur corps devient davantage rude… Chez la femme apparaît le sexe féminin, et chez l’homme apparaît le sexe masculin. La femme et l’homme se regardent mutuellement, longuement et, chez eux, se produit le désir sensuel. Ainsi, une passion brûlante entre dans leur corps et certains pratiquent l’accouplement. D’autres, qui les voient, leur lancent du sable, des cendres ou encore de la bouse en disant : « Disparais, être impur ! Comment un être peut-il être capable de faire pareille chose à un autre être !! »
Ainsi les choses qui étaient considérées jadis, d’une manière conventionnelle, comme éléments du désordre des choses, sont considérées aujourd’hui, de manière conventionnelle, comme compatibles avec l’ordre des choses. »


Il n’existe donc au départ aucune « hiérarchisation des sexes » : la distinction sexuelle d’êtres d’abord indifférenciés se produit comme un phénomène parmi d’autres, résultat d’une évolution qui procède par différenciation dualiste, selon un processus qui fait penser à celui de la division cellulaire ! Tel est « l’Ordre des choses », qui voit apparaître des phénomènes quand certaines conditions sont réunies, généralement liées à l’expression de désirs, et qui, irrémédiablement, entraîne chez les êtres l’apparition de nouveaux désirs, eux aussi marqués par la dualité : avidité ou répulsion, orgueil ou mépris, attraction ou rejet… Ainsi, petit à petit, se met en place un système complexe de « conventions », qui évolue au fil du temps.


sexes.jpgLA BHIKKHUNI SOMA

Les textes anciens donneront d’autres exemples de ce point de vue. Ainsi d’un dialogue célèbre entre une bhikkhunî, Soma, s’exerçant à la méditation qui la mènera jusqu’à l’extinction du désir et au nirvâna, voyant apparaître devant elle Mâra, dieu du Désir et de la Mort, qui déclare :


« Ce domaine que les sages ont conquis [le nirvâna] est difficile à atteindre. Une simple femme ne peut le gagner ! ». A quoi celle-ci rétorque :

« Quel mal y a-t-il à être une femme quand l’esprit est concentré et la perception claire ? Si je m’étais demandé : « Suis-je une femme ou un homme ? » alors j’aurais parlé ta langue, Mâra. Mais le désir du plaisir est entièrement détruit, la grande obscurité est écartée et, Mort, tu es anéantie, toi aussi ! »


La distinction des sexes n’est donc qu’une simple convention, fruit du désir et de l’Illusion dans laquelle sont plongés les êtres, caractéristique proprement « in-signifiante », à laquelle on ne saurait plus accorder d’importance une fois parvenu à l’Eveil, à la « vision correcte des choses telles qu’elles sont ». Une stance, attribuée au Bouddha lui-même, est tout aussi affirmative :


« Seul importe le Véhicule. Qu’on soit homme ou femme, Quiconque prend le Véhicule atteint le nirvâna ». [Samyutta Nikaya, I, 5, 6]


L’enseignement du Bouddha s’adresse en effet à tous les êtres, comme le précise l’un de ses titres honorifiques : « Instructeur des êtres divins et humains », sans distinction de sexe ! C’est aussi qu’à travers le cycle des naissances et des morts, le samsâra, les êtres ont connu tous les états d’existence possibles, mais aussi tous les sexes… comme le rappelle la mère nourricière du Bouddha, Prajâpati, dans le chant qu’elle proclame une fois parvenue à l’Eveil :


« J’ai été mère, fils, père, grand-mère… Ne sachant rien de la vérité, j’ai poursuivi mon chemin [dans le samsâra]. Mais j’ai vu le Bienheureux ! Ceci est mon dernier corps. Je ne reviendrai pas à nouveau, de naissance en naissance ».


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extrait de ;

« Ce qu’en disent les religions », collection des éditions de l’Atelier
dirigée par Philippe Gaudin, Evelyne Martini et Jacques Scheuer, est réalisée en partenariat avec l’Université Bouddhique Européenne, l’Institut d’Etudes Hébraiques de l’Université de Nancy II, les Instituts de sciences et théologies des religions de Marseille, Paris et Toulouse, et le groupe de Recherche « Société, droit et religion en Europe », CNRS-Université Robert Schuman de Strasbourg.


paru dans le Numéro thématique de l’UBE sur La Femme (2002 – Dominique Trotignon)

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