Chaque jour, nous sommes confrontés à nos peurs qui nous paralysent, nous amènent à adopter des comportements de protection ou à sur-réagir. Nous gardons farouchement nos biens, nos économies par peur de manquer plus tard. Nous nous énervons pour des détails par peur de ne plus maitriser. Nous refusons le compromis par peur de ne pas être à la hauteur, nous subissons par peur des conséquences…
Une peur s’exprime dans un contexte. Elle est soumise à des conditions. La peur n’a pas d’existence propre. Nous n’avons pas besoin de manquer pour avoir peur de manquer par exemple. Ce n’est pas l’objet de la peur qui la conditionne mais le contexte dans lequel nous évoluons et la perception que nous en avons. Cette perception n’est pas rationnelle, elle repose sur notre karma, nos vieilles mémoires.
Nous sommes le résultat de nos expériences passées. Nous stockons en nous des ressentis associés à des situations. Quand une situation analogue advient, le ressenti ressurgit. Mais ce ressenti n’est pas lié à une réalité actuelle, mais à une association entre une situation et une mémoire.
Nous n’avons pas tous les mêmes peurs car nous n’avons pas tous vécu les mêmes expériences et n’avons pas développé des ressentis similaires. Mais toutes les peurs sont égales. Il n’y a pas une peur plus acceptable qu’une autre, plus valable qu’une autre. Nous sommes tous égaux dans la peur. A ce titre, nous devrions tous accueillir l’autre et ses peurs avec compassion et gratitude. Avec compassion, car quel que soit le comportement adopté, la cause profonde est une souffrance. Avec gratitude, car l’autre est un miroir reflétant notre propre mode de fonctionnement. Il nous ouvre à la possibilité de développer notre conscience et ultimement de nous éveiller.
Pour transcender nos peurs, nous devons aller au-delà du ressenti, en entrant dans l’histoire (la mémoire, le karma) activée à ce moment-là. Touchant le karma en jeu, le simple fait de le mettre en conscience lui ôte sa force. Il s’agit alors, à chaque fois que la peur surgit, de la reconnaître pour ce qu’elle est : une vieille mémoire se réactivant. Et de la laisser se dissoudre. Cela peut prendre du temps, selon le niveau d’imprégnation de cette mémoire, la puissance de l’empreinte qu’elle a laissée dans notre continuum de conscience. Il n’y a rien de plus à faire que, chaque fois qu’elle se présente, la regarder pour ce qu’elle est. Elle perd de sa force chaque fois un peu plus, car nous ne l’alimentons plus, ne lui donnons plus de carburant. Si nous la suivons, nous la réactivons. Regardons la, ressentons la, mais ne la suivons pas. Laissons-là se dissoudre.
Dans ce travail de dissolution, des résistances s’élèvent, jusqu’à un point culminant et un extrême malaise. Nos comportements sont dictés par une montée en puissance de cette peur. Comme une ultime attaque désespérée, la peur se déploie de toutes ses forces. Il s’agit alors de « limiter les dégâts ». C’est d’autant possible que nous avons conscientisé le processus et intégré le fait que cette montée en puissance allait advenir et que nous nous y sommes préparé intérieurement.
Juste derrière cette ultime attaque désespérée dans laquelle elle a mis toutes ses forces, la peur va parachever sa dissolution. L’énergie qui maintenait la mémoire étant épuisée, la mémoire disparaît. Un énorme sentiment d’ouverture nait en nous, nous nous sentons libéré, grandit, léger. Nous pouvons apprécier notre situation, ce que nous avons. Nous vivons alors de la façon la plus sage qui soit : œuvrer à notre libération. Et la sagesse que nous développons dans ces expériences, nous pouvons alors la transmettre à nos descendants, nos proches. Si nous-même ne le faisons pas, qu’adviendra-t-il ?
La dissolution de nos peurs ne peut se faire que si nous bannissons tout jugement envers elle et envers nous. Envers elle car elle n’est ni notre ennemi, ni notre faiblesse, ni notre fardeau, ni notre obstacle : elle est une mémoire en action. Envers nous car nous ne sommes ni incapable, ni faible, ni sans valeur : au contraire nous sommes conscient si nous l’accueillons. Notre valeur n’est pas réduite par nos peurs, elle grandit par ce que nous en faisons.
Quel que soit le contexte dans lequel nous vivons au moment de la survenance de ces peurs, nous ne pouvons que les accueillir si nous voulons les dépasser. Car si nous ne le faisons pas, elles reviendront plus tard, dans des contextes encore plus délicats. Quels que soient notre métier, notre position familiale, notre vie sociale, ces peurs ne dénotent en rien une incompétence, une illégitimité ou une inadaptation dans l’une ou l’autre de ces sphères. Les peurs sont des informations qu’une vieille mémoire activée se sent en danger, elle craint que quelque chose de fâcheux ne se reproduise. La peur est une alerte à la vigilance et non un sens interdit. Nous grandissons car nous dépassons nos peurs grâce à notre courage et le courage s’active quand nous avons la vision que ce que nous faisons est bon pour nous, voire essentiel et vital à notre bonheur.
L’humilité et la patience sont deux autres ressources indispensables, sans lesquels le courage se transforme en témérité. Il est probable que sous l’effet de la peur notre orgueil s’active, notre égo s’agite. Il n’y a pas grand chose à faire alors qu’activer la patience et, quand le calme revient, de réinstaller l’humilité. Si nous regardons nos peurs depuis notre orgueil, nous chercherons à les manipuler, les camoufler pour maintenir l’image que nous avons de nous-même. Cette manipulation les nourrit. L’humilité seule peut nous permettre de les accepter comme partie intégrante de nous-même, sans illusion.
Quand ces peurs surviennent, elles ne sont pas là pour nous enfoncer mais pour nous informer. Nous ne serons pas meilleur sans elle, en les niant ou les camouflant. C’est impossible, elles sont inhérentes à la vie. A leur totale disparition, la vie s’éteint et c’est l’éveil. S’il y a vie humaine, il y a peur. Nous ne pouvons, pour nous en défaire, que les accueillir, les regarder et les mettre en lumière (conscientiser), alors elles disparaissent. Notre jardin intérieur change, des mauvaises herbes sont déracinées et laissent la place pour de nouvelles plantations.
Pour dissoudre les peurs, il n’y a rien d’autre à faire qu’accueillir, regarder, reconnaître et lâcher.
Christelle Hauteville-Chadorla