Expliquer la mort aux enfants n’est pas une mince affaire… Parfois, nous nous sentons démunis devant le deuil. D’autant plus quand nous pleurons l’un de nos proches, l’émotion pour nous rendre encore moins inspirés. D’autres fois, les enfants sont tenus à l’écart. En réalité, nul ne connaît l’attitude vraiment juste. Avec les fêtes de la Toussaint, nous avons pensé que ce conte pourrait aider tous les éducateurs.
A la fin du conte précédent « La Tablette magique », nos amis ont entendu les paroles du Bouddha « ne croyez rien que vous n’ayez expérimenté ». Les voici donc sur Le Chemin.
En compagnie de Makimoko, bien sûr
Mais, trop chargé, Dachen « rumine ».
Les grands diraient qu’il boude ou qu’il fait la tête… ou pire, qu’il déprime ! Mais au fond de lui, c’est tout autre chose. Dachen pense à a maman.
Pourquoi est-elle partie après l’avoir mis sur cette terre ?
On a beau lui expliquer que « la mort, c’est la vie », pour lui, y’a pas à discuter la mort, c’est la mort, la fin de tout quoi, et sans espoir de retour. Il voudrait tellement, comme sa grande sœur, comme ses copains, comme Maeva, avoir une vraie mère. C’est pas juste, qui donc enlève des gens pour rendre malheureux ceux qui restent ?
Aussi, quand il va trop mal, comme ce matin, en grimpant la route des Plaines, il l’appelle. Alors, elle lui apparaît en rêve, l’aide et le conseille.
Et, cette fois encore, la magie opère…
La voici dans toute sa splendeur revêtue de sa magnifique robe en velours vert, ses souliers blancs et ses ongles rouges !
Oubliant tous les autres et la fatigue du chemin, Dachen se lance dans une de leurs étranges conversations silencieuses. Celles où tout est permis. Tous le secrets sont possibles quand nul n’entend vos paroles.
Lama TeuTsé a compris : il connaît trop Dachen pour lui poser des questions. Et puis qui mieux que le Maître connaît les pouvoirs magiques des dakinis ?
Mimose, toute occupée à s’évader vers sa prochaine œuvre littéraire ignore le monde alentour.
Même Makimoko saute en silence de branche en branche.
Chacun en soi, avance dans le respect de l’autre. Le silence est doux à qui sait l’apprécier.
Ainsi jusqu’à La Plaine des Palmistes.
C’est à l’instant où Dachen veut traverser que brutalement disparaît sa maman. Trop distrait par son chagrin, il n’a pas vu arriver le camion. Sans un coup de frein brutal et le bras de Lama TeuTsé, Dachen serait passé dessous !
Plus de peur que de mal mais Dachen, dévoré par son émotion, se met à hurler. Tous pensent que c’est la peur, lui connaît la cause profonde. Et pour la première fois depuis des années, il lâche un cri terrible qu’on entend jusqu’au bout de l’île :
– Et puis moi, j’ai même pas de mère.
Son corps se contracte très fort, tout son ventre et ses fesses deviennent tout raides. Ses dents se coincent dans sa bouche. D’un seul coup, il explose ! Laisse jaillir sa douleur. Des mots très forts, des coups violents, toute sa rage sort enfin de lui-même.
– C’est pas juste ! Pourquoi j’ai pas de mère ? Pourquoi elle m’a abandonné ? Pourquoi ils l’ont pas retenue ?
Lama TeuTsé qui assiste impuissant à cette lutte entre le petit garçon et son chagrin le laisse vivre con émotion. « Son émotion lui appartient » pense t’il.
Quand il a fini de vider tout ce qui l’étouffait, Dachen redevient calme, s’assoit et regardant l’océan demande si les dakinis peuvent voguer sur l’eau ?
Lama TeuTsé a senti que l’instant est juste.
Il s’approche de son petit ami et lui explique cette histoire étonnante que lui avait un jour racontée, la fée Mélusine en personne.
– Dans certains pays, les dakinis grandissent tranquillement sous un grand manteau tout doux appelé cocon. Bien au chaud, chaque jour, elles progressent d’un talent ou deux. Et puis, un beau matin, une petite voix leur chante à l’oreille : c’est le moment. Tu dois quitter ton cocon. Certaines dakinis refusent et deviennent hargneuses.
D’autres, au contraire, quittent le manteau qui les étouffe, ouvrent leur cœur, déboutonnent leur cocon et là … Là c’est l’heure magique. Au moment précis où elles pointent le bout de leur nez, ces dakinis se transforment immédiatement en un magnifique papillon !
Tous ces papillons passent leur vie à danser dans les arbres. Ils se posent sans bruit sur les fleurs. Ils deviennent amis avec les abeilles.
Non pas qu’ils oublient leur maison. Ou leur Dachen. Non. C’est autrement. Elles vivent dans un autre monde. Sous une autre forme. Ailleurs.
La nature, si intelligente a même inventé un arbre pour les accueillir. Avec ses longues grappes mauves ou bleues, en Occident on l’appelle l’arbre aux papillons. Ici, l’arbre aux dakinis.
Le pouvoir illimité des arbres…
Peu à peu, Dachen qui écoute son grand ami avec beaucoup d’intérêt propose :
– Ça alors, quand même. J’en reviens pas ! Et si on plantait un arbre, tu crois qu’elle reviendrait ?
Dans sa sagesse qui n’a d’égale que sa simplicité, Le Grand lama répond :
– Sous la forme où tu l’as connue, avec sa belle robe verte, ses souliers blancs et ses ongles rouges, ta maman ne reviendra jamais. Tu sais comme elle était discrète. En revanche, dans sa nouvelle forme, qui peut le dire ? Regarde bien. Si un jour tu rencontres un papillon déguisé en feuille, sois gentil, il se pourrait que ce soit elle. Dans sa nouvelle forme.
– Et ça mettra longtemps ?
– Nous l’ignorons. Mais n’est-il pas doux d’espérer sans attendre ?
Mimose tout autant sidérée, et Makimoko, complètement abasourdi écoutent sans dire un mot. Tous assis en rond sur le bord du chemin, on dirait une tribu indienne en train d’invoquer Le Grand esprit.
Lama TeuTsé arbore son petit sourire en clin d’œil, ce fameux sourire de celui qui sait.
Car lui, il connaît déjà la suite de l’histoire.
Bien qu’il se garde d’en parler devant les enfants, à toi, ami lecteur et à ta complice lectrice, il peut bien la raconter. Mais attention, c’est un secret, n’en parle surtout pas à Dachen… il pourrait empêcher le cours des choses.
Plus tard, bien plus tard. Un jour qu’il visitera la France, Dachen remarquera sur un bel arbre roux une feuille étrange. Ses nervures harmonieuses et sa forme élégante avanceront tranquillement sur une branche. Cette « feuille », la plus belle entre toutes, sera naturellement sa maman. La preuve ?
Tandis qu’il contemplera la magnifique robe verte avec des souliers blancs et des ongles rouges de sa nouvelle amie, elle viendra se poser tout doucement sur la main de Dachen et lui murmurer
– Tu vois, je ne t’ai pas abandonné. Je suis simplement ailleurs. Sous une autre forme. Comme toi, tu visites le monde, moi je visite un ailleurs. Toi et moi voyageons beaucoup. D’un monde à l’autre… avons-nous besoin de nous voir pour sentir que nous nous aimons ? Bien sûr que non ! Même si mon corps physique est parti, moi, je demeure près de toi. Pour toujours. Aujourd’hui tu me reconnais. Demain tu disparaîtras. Ainsi va la vie. Rien n’est définitif. Cela est ainsi.
Plus tard, encore bien plus tard, Dachen devenu grand, se rendra célèbre en inventant cette jolie cravate réservée aux jours de fête : le nœud papillon vert et blanc bordé de rouge !
Mais ceci est une autre histoire car, en fin de conte, comme l’a dit le Bouddha
Sauf l’impermanence, rien n’est permanent …
TARA blanche de longue vie