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Les religions du Cambodge ancien

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Extrait du texte du catalogue, par Kamaleswar Bhattacharya


Histoire religieuse du Cambodge

budnagasmall.jpgLorsque l’on parle des religions de l’ancien Cambodge, on parle principalement des deux grandes religions venues de l’Inde : l’hindouisme et le bouddhisme.

D’après le témoignage conjugué de l’épigraphie sanskrite, de l’iconographie et des histoires dynastiques chinoises, au Vème et au VIème siècle, l’hindouisme et le bouddhisme co-existaient au Cambodge. La religion principale semble avoir été le çivaïsme, l’une des deux branches dominantes de l’hindouisme ; mais l’autre branche, le vishnouïsme, avait trouvé, elle aussi, des adeptes dans la famille royale.

Le trait le plus remarquable de l’hindouisme classique est la conception de la Trinité (en sanskrit, trimûrti, «forme de trois»), composée de trois dieux : Brahma, Vishnu et Çiva, chargés des trois fonctions cosmiques : la création, la conservation et la dissolution. Ces trois dieux sont des émanations du Dieu suprême ; selon les cas, l’un de ces trois dieux devient le membre le plus important de la Trinité, le dieu central.

Le VIIème siècle est marqué par des apports nouveaux. Pour la première fois, au Cambodge, on voit apparaître l’ancienne école çivaïte des Pasupata (qui adoraient Çiva sous le nom de Pasupati). Du côté vishnouïte, l’importante école des Bhagavata («dévots du Bienheureux») élevait Krsna Vasudeva au rang de Dieu suprême, en l’identifiant au Vishnu védique.

Pour le bouddhisme, au VIIème siècle, des apports nouveaux proviennent, d’une part, de Sri Lanka, et, d’autre part, du royaume de Dvaravati (qui occupait la partie centrale de la Thaïlande actuelle). Ainsi, la statue du Buddha provenant de Tuol Preah That reflète le style de Dvaravati. Sur son dos est gravée une inscription qui reproduit la stance fameuse par laquelle un disciple direct du Buddha résuma si bien les « Quatre Vérités nobles » (la Douleur, l’Origine de la Douleur, la Cessation de la Douleur et le Chemin qui mène à la Cessation de la Douleur).

Le grand événement politique de 802, la fondation de la royauté angkorienne par Jayavarman II et l’instauration du culte du Devaråja, est aussi, un grand événement religieux. Une inscription composée de 1052 apprend que les rites magiques destinés à libérer le Cambodge de sa vassalité à l’égard de Java et à unifier le pays sous l’égide d’un monarque universel étaient accomplis selon quatre textes sanskrits.

La charge d’officier auprès du Devaråja était exclusivement réservée aux membres masculins ou féminins de la famille maternelle de Çivakaivalya, prêtre instruit par le fondateur du culte, le brahmane Hirayadama.
Malgré l’installation du « Dieu-roi » çivaïte, le vishnouisme continua de prospérer. Il trouva faveur auprès de Jayavarman II ; et le fils et successeur de celui-ci, Jayavarman III, était vishnouïte.

À l’époque de Yaçovarman, le fondateur d’Angkor (889-c. 900), l’épigraphie montre la prédominance du çivaïsme. Les édits promulgués par ce roi pour régler le régime et la police des temples et des ermitages (açrama) qu’il avait fondés, donnent des aperçus précieux sur la vie religieuse, sociale et culturelle.
Pendant la période troublée qui suivit la mort de Yaçovarman, le vishnouïsme connut un certain essor chez les dignitaires. Les règnes de Rajendravarman (944-968) et de Jayavarman V (968-1001) furent une grande époque, tant au point de vue religieux qu’aux points de vue littéraire et philosophique. Le çivaïsme prédomine, comme auparavant.

Le bouddhisme – plus ou moins négligé par les rois qui se succédèrent après la mort de Yaßovarman – fit de grands progrès sous les règnes de Råjendravarman et de Jayavarman V. Il fut rénové par le savant maître Kirtipandita.

Les pures doctrines de la négation du soi (nairatmya) et du « rien-que-pensée » (cittamâtra), que professait le maître Kirtipandita s’accommodaient fort bien du rituel «tantrique», mêlé d’hindouisme. Pendant la période mouvementée qui suivit la fin du règne de Jayavarman V, en l’an 1001, on voit le vishnouïsme gagner des adeptes dans la famille royale et parmi les hauts dignitaires. Le syncrétisme entre le çivaïsme et le vishnouïsme, d’une part, et entre le çivaïsme et le bouddhisme, d’autre part, se poursuit également.

On a longtemps supposé que Sûryavarman Ier était un bouddhiste, parce qu’il reçut le nom posthume de Nirvânapada. Mais un doute fut exprimé à ce sujet dès 1961. L’épigraphie représente ce souverain comme un fervent zélateur du çivaïsme, et le nom de Nirvânapada n’est nullement incompatible avec sa qualité de çivaïte. Peut-être même ce nom illustre-t-il la synthèse entre le çivaïsme et le bouddhisme qu’atteste l’épigraphie de son règne.

De la mort de Sûryavarman Ier (1050 (?)) à l’avènement de Sûryavarman II (1113), constructeur d’Angkor Vat (temple vishnouïte), le çivaïsme continue de prévaloir. Le dernier grand roi du Cambodge, Jayavarman VII (1181-c. 1220), tenait sa foi bouddhique de son père, Dharanindravarman. La rupture de la tradition hindoue, à cette époque était plus apparente que réelle et les anciens cultes hindous subsistèrent. Tous les cultes locaux, hindous ou bouddhiques, furent réunis dans ce Panthéon qu’était le Bayon, centre et image réduite du royaume. À Preah Khan d’Angkor, on amenait, pour la fête annuelle, des images bouddhiques et hindoues de différents temples.

Néanmoins, après la mort de ce roi, il y eut une poussée intégriste hindoue. «C’est sans doute à cette restauration passagère de l’orthodoxie çivaïte qu’il faut attribuer la fureur iconoclaste qui s’est exercée sur les monuments de l’époque de Jayavarman VII, et qui a eu pour résultat le grattage des innombrables images du Buddha en bas relief ornant les murs et les piliers des temples, et leur remplacement par des linga ou des ascètes en prière».
À la suite des invasions thaïes, une nouvelle religion s’implanta : le bouddhisme singhalais (Theravada) – celui qui a fait du Cambodge ce qu’il est aujourd’hui. En 1296, l’envoyé chinois Zhou Daguan le trouva solidement installé au Cambodge. La dernière inscription sanskrite du Cambodge date du règne de Jayavarmaparameçvara (1327- ?).

Caractéristiques de ces religions

La coutume de donner à des images divines le nom du fondateur, de ses parents ou de ses maîtres spirituels, vivants ou morts, en y adjoignant – isvara ou – svamin, selon qu’il s’agissait de Çiva ou de Vishnu, est bien attestée dans l’Inde, depuis le IVème siècle au moins. Le fondateur acquérait ainsi des mérites et de la gloire, et il en procurait aux autres. D’autre part, selon la conception indienne, l’adorateur s’identifie à la Divinité, par-delà toute distinction entre le sujet adorant et l’objet adoré, et, après la mort, il obtient un séjour dans le monde de la Divinité, ou bien s’assimile à celle-ci, ou encore, atteint la Délivrance complète -«d’où il n’y a pas de retour».
On explique ainsi, au Cambodge, la coutume d’attribuer aux souverains des noms posthumes tels que Vishnuloka («celui qui vit dans le monde de Vishnu»), Parameçvara (Çiva), et Kaivalyapada ou Nirvanapada («celui qui a pour « séjour » la Délivrance»), ainsi que la coutume d’ériger des statues de personnes sous les traits de telle ou telle divinité.

On n’a pas, cependant, épuisé ce sujet. Il existe beaucoup de documents indiens qu’on n’a pas encore exploités, et des documents cambodgiens qu’on n’a pas encore compris. La question du syncrétisme, en revanche, est claire aujourd’hui. L’Inde ancienne n’était pas toujours exempte de conflits religieux ; le Cambodge non plus.

Mais, de bonne heure, en Inde, une tendance syncrétique s’est opposée aux tendances sectaires. Des récits mythologiques mettent en scène Çiva et Vishnu, qui se combattent, puis se réconcilient en proclamant leur identité foncière. Le fondement théorique de cette identité était fourni par la conception de la Trinité. Quoique, au point de vue sectaire, l’un ou l’autre des trois dieux soit élevé au rang de Dieu suprême, théoriquement, tous trois sont identiques, puisqu’ils sont des émanations de l’Absolu.

Le point de vue sectaire, en l’occurrence çivaïte, se reflète au Cambodge, comme en Inde, dans les représentations iconographiques de la trimûrti et dans la disposition des temples dédiés à la trimûrti çiva, qui est issu du coeur du suprême çiva et qui le représente pleinement, figure au centre, tandis que Brahma et Vishnu, issus de ses côtés, se trouvent, respectivement, à droite et à gauche. De l’élargissement de la Trinité hindoue par l’adjonction du Buddha, il ne semble pas qu’il y ait des exemples en Inde, encore qu’elle soit attestée en Indonésie.

Dans le contexte du monisme ßivaïte et bouddhique, il n’y avait guère de différence entre les deux religions, au niveau métaphysique le plus élevé. On comprend donc que, dans une inscription sanskrite du Cambodge, datée de 1041, Çiva soit invoqué sur une face, le Buddha sur l’autre, et dans des termes qui les rapprochent : Çiva, l’Absolu, un en son essence, revêt des formes multiples ; mais, quoique multiple, il est, en réalité, vide de toute détermination empirique. Le Buddha, bien qu’il soit en lui-même au-delà des distinctions inhérentes à notre pensée, assume quatre corps.

Les inscriptions, en sanskrit et en khmer, apportent des renseignements épars sur le rituel hindou ou bouddhique. Ils n’ont jamais fait l’objet d’une étude. Pourtant, on obtiendrait, sans doute, des résultats intéressants si on les confrontait avec les rituels que décrivent les textes indiens (dont beaucoup ont été publiés depuis trente-cinq ans) et avec ceux que l’on peut observer, de nos jours encore, en Inde, à Bali, au Népal.

L’administration des temples, en revanche, est assez bien connue, encore que l’étude n’en ait pas été reprise depuis plus de quarante ans. Il semble que cette administration – adaptée aux conditions sociales et économiques locales – était inspirée de modèles en vigueur dans l’Inde du Sud. Enfin, un trait remarquable de l’hindouisme du Cambodge est la fidélité que l’on proclame à l’égard du Veda : fidélité – plus ou moins théorique – qui est le critère de l’orthodoxie dans l’hindouisme.


Source : www.culture.gouv.fr




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