04/06/2012
Je n’ai jamais croisé autant de sourires figés de Bree Van de Kamp* que ce samedi dans Paris. Je marchais avec quelques centaines d’autres pour la fermeture des abattoirs, au milieu des boulevards parisiens.
Il faisait un temps radieux. Nous étions dehors, libres dans l’univers, les pieds arpentant le bitume de cette cité d’où tant de grands Hommes ont lancé leurs rêves. Je savais que j’étais née aussi des rêves de ces autres, que cette humanité individuelle qui réchauffait ma vie portait le même nom, et était de la même substance que cette humanité absolue qui animait le monde dans les trois temps.
Quelques ères déjà se sont écoulées depuis la soupe primordiale où les premières cellules se sont divisées. Certains disent aujourd’hui que nous sommes rentrés dans l’ère anthropocène – du grec anthropos, être humain – ère dans laquelle l’homme est devenu la principale force géophysique de la planète, chose qui n’a jamais été entre les mains d’aucune autre espèce depuis le début de ce monde. Nous y sommes donc, l’humanité a gagné les pouvoirs absolus de modeler le monde à son image, avec la force titanesque de son nombre toujours grandissant et de ses outils toujours plus démesurés.
Pendant que nous marchions, Il y a eu cette belle femme élégante avec une autorité naturelle, un peu une Lynette Scavo*, qui était là avec son élégant mari. Offensée, indignée de notre marche, elle nous a crié « Fermez les abattoirs de Syrie ! ». Il y avait dans son cri toute une révolte envers l’obscénité quasi criminelle de ces enfants gâtés de la liberté qu’elle voyait, qui n’avaient rien de plus important à faire que de manifester pour des bêtes faites pour être mangées, alors que des humains mourraient de façon effroyable. Je ne sais pas pourquoi elle a dû rentrer dans une logique de sacrifice pour soutenir ce qu’elle voyait défiler. Protéger les animaux ne signifie pas sacrifier les humains. Protéger les faibles n’est pas une erreur éthique. Protéger le bouc émissaire ne met pas en danger le groupe, mais le responsabilise.
Les chiffres parlent d’eux-mêmes. Il me parait évident que l’Homme sera végétarien, puis végane, pour sa survie comme pour celle du monde. Aujourd’hui cela ne serait aussi que pour permettre à chacun de pouvoir manger à sa faim.
Je me souviendrai de ce samedi 2 Juin, du regard de ces enfants interrogateurs avec leurs parents au sourire de Bree Van de Kamp. Je savais que, petite, j’avais cessé de considérer les adultes comme des dieux infaillibles ce soir où j’avais vu mes premiers affamés du 20 heures , ce soir où le monde s’était soudain trouvé peuplé de dieux déchus par leur impuissance à combler en priorité ce ravin qui isole ceux qui meurent de souffrance, ce soir où j’ai rencontré l’humanité.
Je pense que la vérité est contagieuse, parce qu’elle existe et peut se reconnaître. Parmi toutes les boucheries et les abattoirs du monde, je continuerai à croire en la bonté de l’homme. Le Bouddha n’aurait pas enseigné.
J’ai été Bree Van de Kamp, et aussi Lynette Scavo, et je continuerai de penser que la vérité est contagieuse. Les abattoirs étaient dans des murs de cristal samedi, dans le cœur de Paris.
Sophie, pour Buddhachannel.
*Cf « Desperate housewives »
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