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Plaidoyer pour l’abolition des dissections

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J’ai été abasourdie lorsque ma fille de 5° est revenue du collège en me disant qu’elle venait de vivre la pire journée de sa vie. Elle avait du disséquer en Travaux Pratiques de Science de la Vie et de la Terre une souris morte, tuée pour cela.

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Je pensais avec une naïveté issue sans doute d’un idéalisme primaire visant probablement au confort illusoire de la velléité d’un monde meilleur, que cela n’existait plus, et que de tels sacrifices d’animaux sur l’autel de la science s’étaient naturellement éteints, au moins dans les établissements scolaires, par leur absurdité barbare, où leur « bêtise », si ce mot ne prenait pas soudain la coloration du spécisme dans lequel nous baignons, et par le biais d’outils pédagogiques plus réfléchis, plus « humains ».

Après expérimentation directe de la question, et recherches sur le web, j’ai pu voir que de nombreux collégiens, lycéens et étudiants étaient encore confrontés, forcés même, à la dissection animale.

Au-delà d’une insulte ou une agression envers un corps enseignant qui se doit d’être respecté pour le travail qu’il fait, (je remercie au passage du fond du cœur mes anciens professeurs), et au delà d’un débat pour ou contre qui ne saurait faire évoluer chacun dans son approche et sa situation, j’aimerais lancer une réflexion ouverte sur cela, mise à disposition de tous, élèves, professeurs, parents.

Pour débuter, voici 2 liens, le premier allant vers une circulaire de l’Observatoire National de la Sécurité des établissements scolaires et d’enseignement supérieur, dans lequel il est clairement indiqué que :

« L’expérimentation animale n’est possible en SVT et en biologie-écologie que sur les animaux invertébrés et sur les formes embryonnaires des vertébrés ovipares, ou par observation dans des conditions n’entraînant aucune souffrance. »

Et qu’il faut « Utiliser des logiciels de simulation ou des documents vidéo pour remplacer l’expérimentation sur les vertébrés ou les manipulations sur invertébrés pouvant choquer les élèves. »

Le second allant vers la Convention européenne sur la protection des animaux vertébrés utilisés à des fins expérimentales ou à d’autres fins scientifiques, indiquant article 25 paragraphe 3 que :

3. Les procédures mentionnées au paragraphe 1 du présent article sont limitées à celles strictement nécessaires aux fins de l’enseignement ou de la formation concernés et ne sont autorisées que si leur objectif ne peut être atteint par des méthodes audiovisuelles de valeur comparable ou par tout autre moyen approprié.

Ces documents indiquent clairement que des réflexions à ce sujet ont déjà abouti. Manifestement, il doit en exister d’autres qui les contredisent ou les détournent, à moins qu’il ne s’agisse d’un défaut d’information, de formation, ou bien encore de réflexion dans les établissements scolaires, sans quoi il ne serait plus possible d’y disséquer encore des souris. Je ne les ai pas trouvés.

Je vous remercie par avance de vos observations, sources, corrections, arguments, qui pourraient enrichir, délimiter ce qui suit.

Dissection de la dissection.

L’observation et l’expérimentation s’avèrent nécessaire pour trouver la vérité, pour éliminer ce qui est faux, (préjugés, mythes, erreurs) et en cela pour faire évoluer un système vers une vision plus juste. La science s’oppose en cela à la pensée facile, limitée, en ce sens qu’elle s’oppose à une approche subjective par le biais d’une approche objective approfondie.

Cependant, l’approche scientifique basée sur une séparation entre l’objet et le sujet a été remise en question par la physique quantique, qui met l’observation entre l’observateur et son objet, observation qui les lie de façon réelle et les modifie, l’un et l’autre.

Faut-il aller aussi loin, ou plus en avant encore, pour s’interroger sur l’influence que peut avoir une dissection sur celui qui la pratique ? Et sur les conséquences de l’exploitation et de l’asservissement d’espèces par l’humanité ?

Je ne me lancerai pas un plaidoyer sur le respect de l’environnement, qui, on le sait ( ?), est et deviendra au-delà d’un principe éthique, un principe vital, pour notre espèce aussi. On me dira que les souris ne sont pas des espèces protégées, et que les souris utilisées à des fins scientifiques ont été élevées à cet effet.

J’ai aimé cette réaction indignée d’un élève de la classe de ma fille, qui a dit « mais les souris, on ne leur a rien demandé » ! Respect. Une grande majorité de la classe a ri de lui, parce que certains avaient trouvé la dissection « drôle » (mdr, même pas mal !) , et que d’ailleurs le professeur avait dit que ce n’était pas vraiment des animaux, c’étaient des clones. Pour se justifier, et se désengager de tout problème de conscience, la seule échappatoire est elle de redéfinir le règne du vivant lui-même ? Facile, pas très scientifique au sens objectif du terme, mais ça marche bien, et cela a déjà été fait à de grandes échelles, comme pour les juifs, ou les esclaves, par exemple. A quoi donc commence-t-on donc à toucher lorsque l’on redéfinit cela ? Ainsi, si j’élève un être vivant pour qu’il soit un outil, j’ai le droit de le définir ainsi ? Autrement dit, ma volonté seule à la possibilité d’ôter à un autre être vivant non seulement sa vie, mais fondamentalement son droit de l’avoir, avant même de lui ôter. Né pour mourir. Est-ce là un des niveaux de l’enseignement citoyen de notre vieille république ?

Ainsi, qu’est-ce que la dissection va modifier chez le collégien, le lycéen, et les autres ? Je ne saurais encore une fois me lancer là une liste exhaustive, tant le psychisme de chacun est différent, que l’on ait été victime d’abus de pouvoir, que l’on ait grandi dans un milieu respectueux, religieux, que l’on ait des tendances auto destructrices, narcissiques, voire perverses, que l’on soit en deuil, que l’on souhaite être vétérinaire, avocat, médecin, boucher, ou que l’on souhaite encore simplement rentrer vite à la maison pour lire les messages sur son face book. etc…

Je m’interrogerai donc tout d’abord sur cela : En quoi l’observation sur corps réel par exemple de la longueur de l’intestin d’une souris peut-elle faire évoluer l’élève dans son apprentissage de la science et la compréhension du système digestif ? En considérant uniquement la connaissance, objectif de cette observation, ne peut-elle pas être obtenue par des outils virtuels ? En quoi la dissection est-elle indispensable ? Je ne trouve pas de réponse à cette question.

Car enfin, faute d’argument sur l’indispensabilité de l’acte, disséquer des animaux en cours, tués à cet effet, c’est clairement mettre en place avec la force de l’autorité d’un système éducatif national le fondement du système de valeur suivant : pour m’enrichir du savoir lié à une observation, accessible autrement, je m’octroie tout de même le droit de prendre la vie, de l’instrumentaliser, d’utiliser le corps d’un autre être vivant, animal, de l’ouvrir, de le dépecer, d’épingler sa peau, d’extraire ses entrailles, de les observer , et de jeter ce corps ensuite à la poubelle.

Est-ce anodin ? Je ne sais si je pourrai lister la cascade de questions, de conséquences, d’enjeux sociaux, ou de dommages collatéraux, qui suivent cette observation.

Par ailleurs, l’intelligence de l’être humain n’est-elle pas un outil dont il faut aussi se servir ? Faut-il expérimenter avec la main d’un autre la plaque chauffante pour savoir qu’elle brûle ? N’atrophions-nous pas nos capacités en n’utilisant pas nos ressources ? Qu’atrophions nous en faisant cela ? Quel est le niveau d’apprentissage de l’autonomie et de la responsabilité de cette méthode ? Quel est son niveau créateur ?

Et s’il s’agissait là d’une initiation à la « réalité », pourquoi l’accent ne serait il pas mis par ailleurs dans le cursus scolaire sur le rapport à la mort (de l’humain), et son tabou dans notre vie occidentale ?

Il va sans dire que cela modifie certainement le regard sur le corps enseignant, la confiance à leur égard, et le regard d’autres sur le pouvoir qu’ils s’octroient sur leur environnement, leur rapport aux autres êtres sensibles, leur rapport à l’empathie même.

Qui plus est, ces travaux sont notés. Quelles conséquences suivent la valorisation du verrouillage de l’empathie ? Méjuger de la répulsion de certains à la dissection au prix d’une sanction, d’un zéro et prostituer ainsi la sensibilité ou l’éthique d’un élève au prix d’un résultat scolaire ? Faut-il que les parents encouragent leurs enfants à de nobles zéros ? Faut-il risquer de détourner certains, ceux là même qui sont sensibilisés à la nature et aux animaux, d’un cursus scientifique ? Quel est celui qui est apte à juger de cela ? A le qualifier même ? Est-ce l’objet de la Science de la Vie et de la Terre ?

Faut-il se battre pour donner le droit à l’objection de conscience aux collégiens ? Les initier à la désobéissance civile? Ou réfléchir d’abord en amont en tant qu’adultes responsable ?

Jusqu’où à le droit d’aller l’autorité d’un enseignant ? Je crois que le pouvoir engendre des responsabilités, et les droits des devoirs. Les points soulevés par les dissections sont ils-suivis en SVT, ou dans le cadre d’un enseignement laïque, citoyen, responsable, global et cohérent ? Qui assume les dommages collatéraux d’un enseignement scientifique où la réflexion spécialisée a omis de se situer dans un contexte plus global, et qui porte le nom de Science de la Vie et de la Terre ?

Bien sûr, avant tout, les premières victimes sont les animaux, et je vous laisse le soin de vous diriger vers les sites ou associations qui les défendent, si votre cœur est assez solide pour observer les effets des droits que nos semblables s’arrogent derrière les murs blancs des laboratoires, élevages, etc.

Par ailleurs, une campagne nationale sur le harcèlement en milieu scolaire vient de commencer. Des statistiques disent que 10% des collégiens rencontrent des problèmes avec le harcèlement et 6% des collégiens subissent un harcèlement qu’on peut qualifier de sévère à très sévère (source : première enquête nationale de victimation au sein des collèges publics réalisée par Éric Debarbieux*, et, toujours extrait de la même source :

Les 4 caractéristiques du harcèlement en milieu scolaire :
• La violence : c’est un rapport de force et de domination entre un ou plusieurs élèves et une ou plusieurs victimes.
• La répétitivité : il s’agit d’agressions qui se répètent régulièrement durant une longue période.
• L’intention de nuire : le but est de blesser, d’intimider, de mettre en difficulté, et/ou de ridiculiser l’autre.
• L’isolement de la victime : la victime est souvent isolée, plus petite, faible physiquement, et dans l’incapacité de se défendre.

N’est-il pas plus qu’opportun de s’interroger sérieusement sur l’instrumentalisation de la Vie, et sur la nécessité de la valorisation de l’empathie ?

Car enfin la première observation irréfutable n’est-elle notre statut d’être vivant, statut que nous partageons avec d’autres espèces ? Cette vie même n’est-elle pas ce qui nous permet d’accéder à la connaissance ? Comment peut-on aimer ce que l’on ne respecte pas ? Vers où peut-on évoluer en commençant par nier la partie primordiale de soi-même ? Quel sens à la vie accorde-t-on à autrui si l’on s’arroge le droit même de définir ce qui est vivant ? Qui est-on pour déterminer du droit de quelqu’un à vivre ou à mourir ?

La cascade de questions et de points soulevés par cette observation là ne parait-elle pas plus créatrice, positive, source de progrès, de sociabilité, de droit à la différence, de liberté de pensée, de respect de soi même ?

Je finirai par cet extrait d’un texte de l’antropologue et ethnologue Claude Levi-Strauss

« Et en restant aveugle à cette propriété commune, on a donné champ libre à tous les abus. Jamais mieux qu’au terme des quatre derniers siècles de son histoire l’homme occidental ne put-il comprendre qu’en s’arrogeant le droit de séparer radicalement l’humanité de l’animalité, en accordant à l’une tout ce qu’il refusait à l’autre, il ouvrait un cercle maudit, et que la même frontière, constamment reculée, servirait à écarter des hommes d’autres hommes, et à revendiquer au profit de minorités toujours plus restreintes le privilège d’un humanisme corrompu aussitôt né pour avoir emprunté à l’amour-propre son principe et sa notion. »

Puissent ces observations être utiles, et protéger cette propriété commune, éphémère qu’est la vie, pour un développement durable de tous.

Merci par avance pour vos observations.

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