L’ancienne cité de Kashgar s’effondre face aux bulldozers de l’Empire chinois. Les Ouïgours déplorent cette démolition sous haute surveillance militaire. Certains deviennent figurants dans leur quartier transformé en site typique pour les touristes.
On dirait la guerre, un tremblement de terre. Parmi les maisons effondrées, dans le silence de la poussière, quelques Ouïgours tentent de revendre des briques, des poutres, une porte sculptée. Kashgar fut une fabuleuse oasis à la croisée des routes de la soie. À l’ouest, Kazakhstan, Kirghizistan, Tadjikistan, Afghanistan et Pakistan. À l’est, la Chine immense. Distant de 4 000 km, Beijing impose cependant son heure unique et la frénésie de ses urbanistes. Les expulsés seront relogés dans une banlieue lointaine. Ils devront oublier les moutons élevés dans la remise et leur vie familiale dans la cour commune autour du figuier.
Destruction massive
Depuis des mois, pelleteuses et bulldozers déblaient la ville ancienne. Déjà s’élèvent des magasins, hôtels pour hommes d’affaires et touristes, immeubles éclairés la nuit de couleurs tonitruantes et changeantes, des jardins où chaque arbre s’illumine d’un vigoureux spot vert. Une grande roue de fête foraine se moque de la vieille ville. Les échoppes d’herboristes, de luthiers, de boulangers et de grilleurs de brochettes laissent place à des buildings résidentiels bardés de climatiseurs, à des magasins de vêtements, de rétroviseurs ou de bassines en plastique. Même modernité que dans les autres villes de Chine. Seule concession à la typicité locale, des constructions neuves d’allure islamisante sont érigées, pour rassurer le touriste.
Répression militaire
Ce n’est pas la guerre, mais cela y ressemble. Des colonnes de militaires quadrillent les rues et leurs cris d’entrainement rythment les heures. La « paix chinoise » domine la ville. L’Empire ne veut pas revoir les émeutes du 5 juillet 2009 entre Ouïgours et Hans, dans cette « région autonome » du Xinjiang. Pendant dix mois, la ville fut interdite aux étrangers, le téléphone et Internet suspendus. « Un camp de concentration à ciel ouvert », s’insurge l’opposante Rebiya Kadeer exilée aux États-Unis. Comme au Tibet, les Chinois sont persuadés d’offrir le développement économique, des logements modernes, iPhone et wifi. Les bénéfices issus de leurs exportations dans le monde entier financent ces énormes investissements dans les autoroutes, l’exploitation des ressources naturelles, du pétrole et des minerais, l’agriculture. L’eau des montagnes irrigue à pleins canaux le désert du Taklamakan.
La Chine à la conquête de son far-west
Dans une Chine qui rêve d’être les États-Unis du XXIe siècle, les Ouïghours se retrouvent figurants indigènes. Pour 4 €, le touriste visite une zone rénovée de l’ancienne cité. Les Ouïgours qui laissent leur maison ouverte reçoivent 40 € par an de l’entreprise pékinoise concessionnaire du site. Dans cette réserve urbaine, les Chinois adorent se photographier avec des autochtones en costume traditionnel, ou poser sur le chameau face à la mosquée Aid Kah, réputée la plus grande d’Asie.
« Nihao !»[[Nihao : « bonjour » en chinois]] C’est désormais dans la langue de Mao que les enfants ouïgours du « quartier typique » saluent ces touristes qui goûtent à l’exotisme du Xinjiang ou du Tibet. Mais dans le regard des Ouïgours de Kashgar, on lit cette infinie tristesse de ne pouvoir préserver leur cité et leur culture de la démolition, leur impuissance face à la modernité de la Chine, ses usines, ses écrans géants et ses publicités souriantes.
Julienne Nezan, Kashgar, été 2010
– Textes et photographies : Julienne Nezan, Kashgar, été 2010
julienne.nezan@gmail.com
Pour plus de photographies, cliquez ici.
Commentaires sont fermés