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Connaissez-vous la raw food?

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Au commencement, il y a l’étymologie. Raw en anglais signifie « cru ». Mais aussi « sauvage ». Ainsi que, dans une acception plus large, « brut », dans le sens de non fini, mal dégrossi. Autant de définitions qui ont infusé dans les têtes d’une nouvelle génération de cuisiniers, fédérés autour d’un slogan prometteur : Cook It Raw. Cuisinez-le cru. Cuisinez-le brut. Cuire moins pour cuire mieux Non, plutôt pour exalter le goût autrement. Et remplacer l’absence de chaleur et la limitation des cuissons ‘ braisage, rôtissage, mijotage, friture – par une nouvelle attention aux saveurs primales. Un travail visionnaire que certains d’entre eux imaginent déjà comme une nouvelle anthropologie épicurienne.

Tout a commencé à Copenhague, en mai 2009. Quand, sollicité par le gouvernement danois pour sensibiliser l’opinion publique au sommet sur le réchauffement de la planète, Alessandro Porcelli, ex-bras droit de René Redzepi – chef du restaurant Noma à Copenhague et leader de la nouvelle cuisine scandinave, troisième place au classement des World’s 50 Best Restaurants – a conçu le projet d’un laboratoire culinaire itinérant. « Pour accorder cuisine et écologie. Et réfléchir à la richesse de la nature, à la flore, à la faune sauvage, à tout un patrimoine végétal longtemps négligé, obnubilé par des pratiques culinaires trop formatées », explique-t-il en révélant le vrai enjeu : l’impact énergétique zéro. Une utopie, un horizon, un challenge au quotidien devenu, pour tous les cuisiniers soudés par le projet, le moteur d’une recherche culinaire sans précédent.

Comment définir Cook It Raw ? Un think tank, un commando d’élite de l’avant-garde culinaire mondiale. De France, d’Italie, du Danemark, d’Espagne et des Etats-Unis, du Brésil et du Japon, de nombreux talents ont répondu présent, dressant ainsi un atlas inédit de la cuisine : le pâtissier Albert Adria (frère de Ferran Adria), la nouvelle révélation new-yorkaise David Chang (Momofuku), les chefs italiens expérimentaux Massimo Bottura (Osteria Francescana, Modène) et Davide Scabin (Combal.Zero, Turin), le cuisinier suédois installé à Paris Petter Nilsson (la Gazzetta), ou encore le créateur américain Daniel Patterson (Coi, San Francisco).

Quelques Français participent à l’aventure: Inaki Aizpitarte (le Chateaubriand, Paris), Pascal Barbot (l’Astrance, Paris), Claude Bosi (Hibiscus, Londres). Une à deux fois par an, Cook It Raw investit un territoire. Après les littoraux scandinaves en 2009, avant la jungle amazonienne l’hiver prochain, les ports de pêche japonais en 2011, puis les jardins iraniens, le bush australien et les steppes de Sibérie, c’était en Italie, dans le retranchement montagneux du Frioul, que Cook It Raw s’est donné rendez-vous à la fin du mois de janvier.

Le mot d’ordre : « Winter was hard », « L’hiver fut rude ». Soit un plongeon dans une terre glaciale entre mer et montagne, nichée au nord de Venise, entre Autriche et Slovénie. Et berceau de vins minéraux, parmi les plus cristallins de l’hémisphère Nord. Pendant trois jours, les cuisiniers, entourés de journalistes et de chercheurs, ont mené leurs travaux in situ. Disposant d’un glossaire raisonné avec son classement de viandes, poissons, herbes, fruits du potager typiques de la région (dont la rarissime rose de Gorizia, salade de la famille de la chicorée d’une amertume unique, autrefois cultivée sur du fumier et dont le prix bat celui d’un filet de boeuf), chaque chef a eu carte blanche pour concevoir son plat. Accouchant d’une création qui a valeur de méditation sur la nature, de réflexion sur la poétique de la survie, voire d’inclassable élégie sur les esprits de la forêt.

Comme dans le stratosphérique Evolve with the Forest du Tokyoïte Yoshihiro Narisawa, plat au paysagisme sculptural où le végétal et l’animal – cerf, baies, herbes, noix, vinaigre de vin, saké, écorces de pin, de cyprès – se questionnent sur le rapport à la nature. L’univers animiste de Hayao Miyazaki, l’animateur japonais des films Princesse Mononoké et du Voyage de Chihiro, n’est pas loin. A l’intérieur du Raw, si compétition il y a, c’est dans l’émulation et le partage de l’émotion. David Chang, au Momofuku de New York, s’est souvenu de la misère ancestrale de la Corée du Nord. Et du kimchi, le très pimenté condiment national « que [ses] grands-parents utilisaient pour conserver légumes et racines dans des énormes pots en terracotta. Un peu comme Josko Gravner, le vigneron frioulan, qui fait macérer ses vins avec la peau du raisin dans des amphores ensevelies sous terre pendant près d’un an ». Un plat brutal, violent, explosif.

A chacun son utopie. Inaki Aizpitarte et l’arte povera – potage sec de purée de cresson, lard gras, croûtons de pain imbibés de vin blanc Radikon pour le rappel du chabrot paysan. Petter Nilsson, le chef suédois de la Gazzetta et son pacifisme végétalien : un tartare de sanglier sans gibier, soit « une déclinaison végétale avec tout ce que la bête mange, herbes, baies, racines, pommes, truffes, mais sans la moindre once de viande ». Quant à René Redzepi, il a tout simplement accouché d’un titanesque travail d’historien. Son plat ? The Jensen’s Hard Winter of 1941. « Jensen, c’est un nom très commun chez nous, comme Dupont en France. L’hiver 1941 fut le plus rude au Danemark depuis cent cinquante ans. Avec des pointes polaires jusqu’à moins 32 degrés, la mer était glacée, on pouvait marcher dessus jusqu’en Suède. C’était la guerre, il n’y avait littéralement rien à manger et les nazis occupaient le pays. » D’où cette mirifique composition de verdures, racines, herbes marines et pétales de roses vinaigrées, souvenir des pickles et des conserves, sorte de poétique de la fourmi d’une époque en totale pénurie où l’on survivait du peu qu’on arrivait à ramasser par champs et rochers. De la cuisine, oui. Mais aussi un traité d’histoire. Un plat sous voeu de chasteté, vecteur d’une lecture du monde, le présent vu à travers le prisme du passé.

Cook It Raw se veut aussi un engagement concret. « L’idée est d’archiver notre travail, et de documenter le voyage des cuisiniers à travers ces contrées éloignées, explique Alessandro Porcelli, organisateur de la manifestation. Au Brésil, à la fin de l’année 2010, on cuisinera dans les favelas avant de partir dans la jungle amazonienne, poussant jusqu’aux campements des aborigènes. Etudiant leurs produits et techniques, remontant le fleuve jusqu’aux plantations de café les plus reculées. Chefs, journalistes, chercheurs, savants, militants de Rainforest Alliance vont vivre ensemble pendant une dizaine de jours en petit comité, presque une communauté. Tout cela sera relayé à travers des livres, des films, des séminaires pour établir des passerelles entre l’écologie et la créativité. D’ailleurs, on envisage fortement l’hypothèse de créer une fondation. » Cook It Raw, ou le rêve d’une altercuisine écologique à l’impact planétaire. On a connu des cuistots nettement moins engagés.


Source: L’Express

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