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Conte — Le Lotus et la Carpe

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Non seulement un lotus pense, mais il peut méditer.
Cela ne l’empêche pas d’avoir quelques défauts d’orgueil.


c2470008046_A-Couple-under-Lotus-I-Affiches.jpgVoici l’histoire banale d’un lotus qui se pensait très beau.

Un lotus, dans le bassin d’un temple, se prélassait au soleil,
étalant ses beaux pétales fermes et brillants.
De nombreux fidèles du temple s’arrêtaient pour le contempler,
lui faisant de nombreux compliments.
Difficile de rester modeste face à l’éloge.
C’est la plus grande difficulté d’un lotus de temple :
ne pas pêcher par orgueil.

Déjà en bouton, il ne recevait que des belles paroles.

« Dis maman, tu as vu le bébé-lotus, comme il est beau ? »

Puis un jour il s’ouvrit avec la majesté du paon qui fait la roue, avec son arrogance aussi.

Il se pavana, s’étira vers le soleil
et sous les cris d’admiration, il chercha à plaire,
se présentant sous son meilleur profil.

Et une photo de l’un, puis de l’autre. il se prêtait à merveille à ce jeu de séduction.

Il se pencha vers les eaux :

« Miroir des eaux, cher miroir.

Suis-je vraiment le plus beau ? »

Le miroir des eaux lui répondit par une image déformée.

Il ne s’attendait pas à être si laid, avec une couleur terne, des pétales tordus,
alors qu’au loin ils voyaient d’autres beaux et fiers lotus, plus blanc que le marbre du temple.

Un pèlerin se pencha vers lui, puis se retira rapidement en disant:
« Qu’est-ce que çà sent mauvais ici ? »

Il partit en se bouchant les narines.

Le lotus en fut vexé.

« Cette odeur viendrait-elle de moi ? » se demanda le lotus.

Difficile de rester paisible face à la critique.

C’est la plus grande difficulté d’un lotus de temple :
ne pas être susceptible face au moindre commentaire désobligeant.

Il appela la vieille carpe du bassin.

On disait qu’elle était sans âge, peut-être même immortelle …

Les grenouilles racontaient qu’elle avait reçu la sagesse des Dieux.

« Carpe, ma chère carpe, dis-moi la vérité.

J’ai deux questions à te poser.

Est-ce que je sens mauvais ?

Et suis-je au moins réellement beau ? »

La carpe s’approcha et frotta ses écailles contre la tige du lotus.

Celui-ci vacilla, peu habitué à être chahuté.

Elle continua à s’agiter, à remuer les eaux avec ses nageoires.

« Mais qu’est-ce que tu fais ? » cria le lotus

La carpe s’arrêta et lui dit avec douceur :

« Mais… je te répond ! »

Les mouvements de la carpe avaient agité le fond de l’eau.

Les vases remontaient vers le lotus qui fut submergé par un haut-le-cœur :
une odeur nauséabonde, insoutenable le saisit d’horreur.

La carpe lui demanda :

« alors est-ce toi qui sent mauvais ? »

« Heu, non », fit le lotus entre deux grimaces.

« Ce sont ces saletés au fond du lac. »

Il était un peu rassuré, mais totalement dégoûté par un environnement si malsain.

« Bien. Je vois que tu es intelligent », dit la carpe.

« Donc il n’y a plus de problème, n’est-ce pas ? »

« Heu! … Si », dit le lotus, « je ne veux pas vivre dans un tel lieu. Je mérite mieux. »

La carpe pensive murmura : « Ah tu mérite mieux ! »

Elle plongea, et avec délicatesse, prit dans sa gueule la tige du lotus.

Elle pesa de tout son poids pour que le lotus disparaisse sous l’eau.

Il crut être noyé.

La carpe amena le pauvre lotus jusqu’aux racines de la tige.

Elle lâcha la tige qui resta coincée par ses nageoires, et lui dit :

« Regarde d’où tu viens.

« Regarde d’où tu tires ta beauté qui te fascine tant. »

Elle agita la queue libérant un nuage noir et opaque qui aveugla le lotus en détresse.

« Tu viens de cette vase…

Sans elle, tu n’existerais pas.

Ta splendeur vient du noir de cette boue.

La pureté de tes pétales vient du travail nauséabond des profondeurs.

Apprend à voir ces profondeurs comme de la noble transformation.

Tu es cela aussi.

Ne l’oublie jamais. »

« Quand à dire si tu es beau, jeune lotus, je vais être très claire.

Oui, la beauté t’envahit. Cette beauté illumine cet étang
mais cette beauté n’est pas Toi. C’est une erreur de le croire.

Tu n’en a aucun mérite.

Cette beauté te dépasse, elle est le don de vie que tu as reçu.

Elle ne t’appartient pas. Tu ne peux la posséder.

Elle peut disparaître très vite si quelqu’un te cueille.

Tu finiras alors dans une poubelle
encore plus nauséabonde que la vase que tu méprises. »

Elle lâche le lotus qui remonta, tout fripé, sale et les pétales de travers.

La carpe le suivit.

« Mais alors, dit le lotus, pourquoi les gens me font tant de compliments ? »

« Ce n’est pas toi qu’on admire, mais ton image.

Cette image n’est qu’une illusion de toi, qu’un écran. »

« Alors je suis quoi ? » dit d’un air désespéré le lotus.

« Ce que tu es ? Un lotus, la fleur qui reste sur les eaux stagnantes sans se salir,

qui se nourrit des fermentations des vases,

et qui reste malgré tout propre. »

La carpe continua :

« Sais-tu pourquoi les statues des bouddhas sont représentés sur un lotus ? »

« Euh… Non, répondit penaud le lotus.

« Parce que le lotus symbolise cette possibilité de rester propre sur les eaux sales,
comme l’être humain peut rester propre dans des milieux troubles,
pur au milieu d’un monde malhonnête parfois. »

La carpe continuait avec une voix d’outre-tombe ;

« Ainsi, puisse-tu réaliser ta fonction,
celle d’apprendre à rester pur en toutes circonstances,
pas seulement propre dans tes pétales, mais dans ton cœur.

Reste simple et paisible face aux compliments et aux critiques,
identique et sans compromission en toute circonstance.

Sois compatissant pour tous les fidèles qui passent
et si ta beauté les réjouit, sois-en heureux pour eux.

Et quand la lame coupera ta tige et que tu partiras sur l’autel du temple,
Offre-toi dans ta pureté pour le bien de tous les êtres. »

La carpe plongea.

Le lotus pleurait, libre.


Par Alain Delaporte-Digard

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