02.05.2009
Avec son bref «Le sumo qui ne pouvait pas grossir», qui cartonne en librairie, l’auteur français a réussi un grand livre sur le détachement. L’occasion de l’interroger sur ses pratiques spirituelles
«Le sumo qui ne pouvait pas grossir» est peut-être le plus beau livre d’Eric-Emmanuel Schmitt. Bref et intense, poétique et impertinent, ce roman nous entraîne dans les traces du bouddhisme zen, sur le chemin de l’allégement de soi. Mais qu’est-ce qui attire l’écrivain vers les religions et les philosophies? Explications autour d’un verre, à l’occasion de sa venue au Salon du livre de Genève.
– Comment vous est venue l’idée de ce conte?
Lors d’un séjour à Kyoto, au Japon, je suis allé dans un jardin zen. J’avoue que j’étais sceptique, je ne comprenais pas. Par désœuvrement et pour faire plaisir aux Japonais qui m’invitaient, je me suis assis et j’ai pris mon mal en patience. Mon esprit s’est alors mis à vagabonder. J’ai commencé par être habité par plein de pensées négatives, comme si je me purgeais de violences, d’agressivités. J’ai eu ensuite l’impression d’éclater ma peau, de sortir de mon corps et de me mettre à planer au-dessus du jardin, alors que je ne connaissais rien au bouddhisme zen. Cette expérience m’a bouleversé.
– Quel est pour vous le plus bel enseignement de cette philosophie?
Ce qui me touche le plus, c’est ce qui m’est le plus étranger: en tant qu’intellectuel européen, j’évolue dans les philosophies de la conscience. Or le bouddhisme zen propose de sortir de la conscience pour donner à l’homme une pensée qui n’est pas sa pensée «individuée», mais une pensée cosmique: la pensée du bourgeon qui bourgeonne, ou de l’oiseau sur la branche. Cet allégement de soi, en termes de concept, m’est complètement étranger. Mais, à défaut de pouvoir penser le zen, je le pratique.
– Vous avez continué à le pratiquer?
De façon désordonnée, brouillonne, enfin à moi! (Rires.) De façon mixte aussi. Rien n’est pur dans mes pratiques spirituelles…
– Justement, êtes-vous de ceux qui puisent un peu partout pour faire votre propre philosophie?
C’est assez choquant, mais oui. Je reçois souvent des lettres de gens qui m’insultent et me disent: «Vous devez choisir, Monsieur!» Ça me fait beaucoup rire et, en même temps, je comprends leur point de vue. Mais c’est le point de vue de celui qui pense détenir la vérité. Or je pense que la vérité est inaccessible. Et même peut-être qu’il n’y en a pas. Pour moi, toutes les religions sont des propositions de sens, des organisations du chaos. Mon regard sur les religions est celui d’un humaniste. Je n’ai pas de leçons à donner, mais j’ai des leçons à prendre de partout.
– Y a-t-il cependant une philosophie ou une religion qui vous touche plus particulièrement?
Oui, le christianisme. A cause des Évangiles. Cette promotion inouïe et violente de l’amour comme valeur première, c’est une chose qui me bouleverse. Qui me surprend. Qui me nourrit.
– Mais vous n’en êtes pas pour autant convaincu?
Je ne le serai jamais. Je suis trop philosophe pour devenir vraiment religieux. Mais je suis un philosophe qui n’exclut pas l’éventualité d’une Parole révélée.
– Que pensez-vous justement de cette opposition entre philosophie et religion?
La philosophie se définit comme la raison, la religion comme révélation, c’est l’opposition des Lumières. Je suis dans une position plus moderne. Bien sûr, quand on est philosophe, on parle avec la raison. Mais pourquoi refuserait-on pour autant la suscitation de ce qui n’est pas que raison? La vie, l’art, l’expérience, la révélation… Limiter le discours au discours rationnel, c’est d’une pauvreté totale.
– Vous êtes un auteur plus que prolifique; l’écriture n’est-elle pas devenue votre sacerdoce?
Je n’y ai jamais pensé, mais ce n’est pas faux, dans le sens où je me sens profondément coupable quand je n’écris pas. J’ai le sentiment que je laisse le temps filer entre mes doigts et que je n’ai pas le droit de laisser le temps produire de l’inutile. Quand j’avais 20 ans, j’avais plein d’amis, filles et garçons, qui souhaitaient écrire, comme moi. Plusieurs d’entre eux sont morts quelques années après du sida. J’ai eu cette chance de n’avoir pas été touché par ce fléau. Mon rapport au temps est lié à eux: j’ai la chance de vivre, je n’ai pas le droit de perdre mon temps.
– Vous parlez d’inutilité, comme si l’écriture était la seule chose qui faisait sens?
En tout cas, c’est mon utilité. Pour moi, un livre a quelque chose à voir avec la recherche de la sagesse. Le but d’un livre, ce n’est pas le livre en lui-même, c’est la vie de celui qui va le lire, son enrichissement. Et je sais que, là, j’ai ma petite part à faire.
– À LIRE
«Le sumo qui ne pouvait pas grossir», par Eric-Emmanuel Schmitt. Ed. Albin Michel, 102 p.
Par Anne-Sylvie Sprenger
Source : www.lematin.ch
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