Accueil Espace Bouddhiste Société Cambodge — Dans les Filets des Esclavagistes thaïlandais

Cambodge — Dans les Filets des Esclavagistes thaïlandais

84
0

02.02.2009

Rêvant à une vie meilleure, des Cambodgiens, dupés par des passeurs, se retrouvent asservis sur des bateaux de pêche. Leur calvaire commence enfin à susciter des réactions.

Logo de la DSI
Logo de la DSI
« Ils ont tué un membre de l’équipage pour une peccadille, raconte Thung Yeap. Il voulait juste rentrer chez lui. Il n’arrêtait pas de le demander. Alors le capitaine a fini par l’abattre. » Thung Yeap est l’un des heureux rescapés d’un voyage qui commence dans les villages les plus pauvres du Cambodge et finit parfois au fond de la mer de Chine. Selon les forces de l’ordre locales et des organisations internationales, ils seraient des centaines dans le cas de Thung Yeap, en majorité des paysans cambodgiens, à avoir été victimes ces dernières années de trafiquants qui les livrent à des propriétaires de bateaux de pêche thaïlandais sur lesquels ils travaillent gratuitement et souvent sous la menace d’une arme.

Infligés loin des côtes, les mauvais traitements passent inaperçus. La juridiction dont ils pourraient relever est incertaine. Les victimes elles-mêmes hésitent généralement à chercher de l’aide, craignant d’être poursuivies pour immigration clandestine. Ce n’est qu’en 2008 que la Thaïlande et le Cambodge ont inclus explicitement les hommes dans les lois sur le trafic d’êtres humains adoptées initialement pour protéger les femmes et les enfants vendus à des fins de prostitution ou de travail forcé. Les bateaux thaïlandais étant amenés à sillonner les eaux malaisiennes, le Cambodge et la Malaisie ont également signé un protocole d’accord pour réprimer ce genre de pratique.

Thung Yeap est de retour depuis un mois dans son village de Popok, dans la province de Kampong Thom, après avoir réussi à s’échapper de son chalutier au cours d’une escale à Sarawak, dans la partie malaisienne de l’île de Bornéo. Les autorités malaisiennes l’ont placé en détention pour entrée irrégulière sur leur territoire avant de le renvoyer chez lui. Kampong Thom est l’une des provinces les plus pauvres du Cambodge. « Ici, les gens vivent au jour le jour », explique Prak Phanna, à la tête d’Anlong Kranh, un village voisin. « On gagnait un peu d’argent en coupant et en brûlant des arbres pour produire du charbon, mais, dernièrement, le gouvernement a interdit cette activité et nous n’avons plus rien. Je dirais que la plupart des gens du coin ne gagnent pas plus de 20 à 30 dollars par mois. Aussi, quand les jeunes ne parviennent pas à joindre les deux bouts, ils s’en vont en Thaïlande. »

Chorn Theong Ly, lui aussi d’Anlong Kranh, est l’un d’eux. « Un jour, un passeur est venu dans notre village, se souvient-il. Il nous a proposé de nous conduire en Thaïlande, nous faisant miroiter une vie facile avec un travail en usine. Il a dit que nous gagnerions 4 000 bahts [90 euros] par mois. Nous lui avons donc chacun versé 3 000 bahts pour nous aider à franchir la frontière. » Le cauchemar a ainsi débuté. « Une fois en Thaïlande, on nous a emmenés à Samut Prakan [province côtière au sud de Bangkok] et enfermés dans une maison. On a commencé à se dire que quelque chose ne tournait pas rond. A 4 heures du matin, les trafiquants sont venus nous chercher et nous ont conduits directement sur les bateaux. C’est alors que j’ai compris qu’on nous avait vendus à un capitaine de pêche. Il était trop tard. » Forcés de travailler sous la surveillance d’un équipage thaïlandais armé, les Cambodgiens, dont certains n’avaient jamais été en mer, ont épouvantablement souffert. « On avait tous le mal de mer et je me rappelle avoir vomi du sang », raconte Chorn Theong Ly. « Le capitaine nous fouettait avec un tentacule de pieuvre. Je me suis presque évanoui sous les coups. Deux des nôtres ont été tués sous mes yeux, un d’une balle, l’autre sous les coups parce qu’il refusait de travailler. » Les salaires promis n’ont jamais été versés. « Après quatre mois en mer », dit Dorn Chenda, du village de Steung Saen, « j’ai commencé à réclamer ma paie. Ils m’ont dit qu’ils l’avaient envoyée à ma femme au Cambodge. En réalité, elle n’en a jamais vu la couleur. »
La police thaïlandaise reconnaît être informée de ces pratiques mais avoir des difficultés à les combattre. « Ceux qui parviennent à s’échapper refusent généralement de faire une déclaration à la police », affirme le lieutenant-colonel Thakoon Nimsombun, du Service des enquêtes spéciales (DSI). « Quand ils retournent au Cambodge, ils disparaissent tout simplement et il est difficile de les retrouver. »


Par Jon Gorvett (International Herald Tribune)

Source : www.courrierinternational.com

Previous articleEco-consommation – diminuer mes achats de (futurs) déchets
Next articleLe Dalaï lama brièvement hospitalisé à New Dehli