27.01.2009
La France est en manque d’un dialogue plus assidu avec l’Orient, souvent perçu comme fantaisiste. La démarche des sagesses orientales, ancrée dans l’idéalisme pratique, est mal adaptée, ou mal comprise par nos méthodes de vérification, comme s’il s’agissait d’un produit de consommation dont la satisfaction doit être immédiate.
Matthieu Ricard est un des rares Français à explorer de façon méthodique, comparative et analytique, le souffle de cette sagesse de l’esprit. Sa pratique de la science positiviste, ses connaissances en physique et cosmologie et son long parcours en tant que chercheur en génétique cellulaire à l’Institut Pasteur, le placent au creuset de l’art de la pensée aussi bien rationaliste qu’idéaliste. Fort de cette double culture, de son expérience en tant que moine dans les montagnes du Népal, de sa connaissance approfondie des textes sacrés et de sa fréquentation des maîtres, de ses multiples traductions des œuvres du dalaï-lama et à d’une pratique de la méditation ininterrompue depuis de longues années, Matthieu Ricard nous propose ce cahier de la méditation, très accessible, qui est une introduction sur les premiers mouvements de la conscience ultra-individualiste vers un individualisme doux, éveillé et altruiste.
Les principes de la méditation
Le bouddhisme est essentiellement une science de l’éveil qui trace un chemin précis, mais adapté à la diversité des personnes susceptibles de tenter le salut par la voie de la recomposition de tous les mécanismes de perception. L’intégralité de nos impressions émane du réseau sensoriel et se résout en un échafaudage complexe et factice de réactions émotionnelles : « On commence donc par observer et comprendre comment les pensées s’enchaînent et engendrent tout un monde d’émotions, de joies et de souffrances. On pénètre ensuite derrière l’écran des pensées pour appréhender la composante fondamentale de la conscience, la faculté cognitive première, au sein de laquelle toutes pensées et tous les autres phénomènes mentaux surgissent. » Voilà le vaste programme que nous ont laissé 2 500 ans de réflexions sur la marche à suivre pour mener un apprentissage et une transformation de l’esprit. Les enseignements qui nous permettent d’aller dans ce sens sont la thématique de L’Art de la méditation.
Ce livre est un condensé de méditations particulières qui correspondent aux pratiques les plus fondamentales acheminant vers un esprit apaisé, condition qui permet d’observer, de façon analytique, le tourbillon de sensations, de pensées et de fantasmes qui nous assiègent sans relâche et qui déterminent le degré de nos joies, de nos souffrances, de nos désirs, de notre indifférence, de notre ressentiment ou de notre sympathie. Par sa simplicité, ce livre qui traite un sujet aussi vital et sensible, au sein d’une société en mal de vitalité, sert d’introduction afin de permettre à chacun de s’exercer graduellement à la méditation. Souvent, les explications de ces méditations sont soutenues par des métaphores (avec la pratique raisonnée, les pensées se défont « comme une lettre écrite avec le doigt à la surface de l’eau »), accompagnées de réflexions incisives, fascinantes et convaincantes qui nous laissent dans le désir d’approfondir, de croquer davantage cette pomme de la sagesse. La réussite de ce livre réside sur ce point : le lecteur demande à respirer davantage l’oxygène de cette connaissance, car la promesse est d’ouvrir les yeux sur la réalité. « L’erreur n’offre aucune résistance à la connaissance, pas plus que l’obscurité n’offre de résistance à la lumière. » Pour ce faire, Matthieu Ricard inclut à la fin une bibliographie complémentaire pour étayer chaque méditation.
Les thèmes se présentent comme un menu où apparaissent, sans que l’ordre importe, les « poisons mentaux » qu’il faut visualiser pour les dénaturer de leur influence nuisible. L’avidité, la jalousie, la colère, l’attachement, et la kyrielle de sentiments qui constituent le flux des pensées, émergent de l’arrière écran du for intérieur pour rehausser l’ego qui « n’est qu’un concept que nous associons au continuum d’expériences qu’est notre conscience ». Il est donc possible d’aborder à la carte un savoir faire de notre existence, d’autant plus nécessaire que l’insatisfaction inhérente au monde ordinaire est une constante dans notre civilisation de citoyens blasés. Quelques questions préliminaires, hélas peu développées, occupent les toutes premières pages. La motivation est le socle décisif : quelqu’un qui apprend une langue, s’il n’est pas motivé, ne la parlera jamais. Viennent ensuite quelques recommandations, non véritablement explicites, sur la posture correcte du méditant, l’enthousiasme comme moteur de la persévérance, et très important, l’accompagnement par quelqu’un déjà avancé ou bien par un maître. Au premier abord, quelques méditations attireront l’attention plus que d’autres, suivant la curiosité ou le besoin péremptoire d’entamer une réorganisation profonde des outils de vie, telles que l’éthique ou le jugement des autres. Mais quel que soit le choix du parcours, les méditations, proposées sur une ou deux pages, portent grosso modo sur trois aspects : la maîtrise de l’esprit pour l’exercice de l’introspection (plus philosophique) ; l’orientation de l’esprit pour réussir la méditation (plus technique) ; la visualisation en alto crescendo sur des situations génératrices d’amour et de compassion (dont la porté est plus altruiste).
Expérimenter les possibilités de l’esprit
L’Art de la méditation est un carnet de route permettant à ceux qui sont insatisfaits des relations entre les individus et des valeurs humaines contemporaines d’essayer une approche expérimentale des possibilités de l’esprit. La faculté majeure de celui-ci est l’intelligence et une réelle capacité de discernement pour développer « la vision pénétrante [qui] nous permettra, par l’analyse puis par l’expérience directe, de comprendre que les phénomènes sont impermanents, interdépendants, et de ce fait dénués de l’existence autonome et tangible que nous leur attribuons d’ordinaire ». La sérénité parfaite est l’horizon idéal pour mieux pénétrer les sujets de méditation et mieux obtenir des résultats ; le calme intérieur est un début de joie dans lequel l’ego « fondé sur des attributs précaires – le pouvoir, le succès, la beauté et la force physiques, le brio intellectuel et l’opinion d’autrui – et sur tout ce qui constitue notre image » est redimensionné à sa juste valeur. Il s’agit de dissiper tous les voiles qui obscurcissent la liberté de se sentir bien et de visualiser la réalité ultime des phénomènes :
« Comme l’étoile filante, le mirage, la flamme,
L’illusion magique, la goutte de rosée, la bulle sur l’eau,
Comme le rêve, l’éclair ou le nuage :
Considère ainsi toutes les choses composées. »
Cet enseignement est entièrement fondé sur l’expérience et non pas sur la révélation ; d’où la constitution de cette perspective comme champ spirituel ouvert à tout le monde, quel que soit son ascendance religieuse ou sa situation professionnelle. L’Art de la méditation nous parle de l’effervescence des pensées dans laquelle notre esprit est noyé, de la puissance néfaste de l’ego, de l’essence ultime de la conscience et de ses qualités, et de la puissance de l’esprit pour éviter, grâce aux techniques de la méditation, que « les pensées automatiques [ne gardent] le même pouvoir de perpétuer notre confusion et de renforcer nos tendances habituelles ».
Le seul moyen de l’expérimenter, c’est de l’essayer. Chiche !
– Titre du livre : L’Art de la méditation
– Auteur : Matthieu Ricard
– Éditeur : Nil
– Date de publication : 02/10/08
– N° ISBN : 2841113957
Par Alvaro GRANADOS
Source : www.nonfiction.fr
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