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Les Algériennes, la lutte – partie 3 : Le collectif des femmes contre le projet de code

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Le collectif des femmes et les manifestations de femmes contre le projet de code


Retrouvez l’ensemble de ce dossier

I. – LES PRÉMISSES : L’ÉMERGENCE D’UN MOUVEMENT DE FEMMES NON ORGANISÉES 1 – La création de commission de femmes travailleuses à l’université
2 – La réaction des femmes contre l’interdiction de sortie du territoire; le collectif femmes de l’université
3 – L’autonomie des femmes face aux groupements d’opposition
II. – LA LUTTE CONTRE LE CODE DE LA FAMILLE 1 – Le constat de carence de l’UNFA
2 – Le collectif des femmes et les manifestations de femmes contre le projet de code
3 – Les composantes du mouvement de lutte
4 – Elargissement, poursuite et succès de la lutte

Les Algériennes, la lutte – partie 1
Les Algériennes, la lutte – partie 2
Les Algériennes, la lutte – partie 3
Les Algériennes, la lutte – partie 4


L’UNFA dans sa résistance à s’allier aux femmes non organisées qui voulaient lutter contre le code s’avère être donc clairement un organisme sans autonomie vis-à-vis du pouvoir. C’est donc sans elle, sinon contre elle, que les premières actions eurent lieu.

Le premier texte rédigé dans les locaux de l’UNFA est repris par les femmes du collectif; il appelait dorénavant à un rassemblement de femmes devant l’APN et demandait la signature cette pétition.

Texte de la pétition portée le 28 septembre 1981 devant l’APN

droit-femme.jpgEl Moudjahid du 21 septembre 1981 a annoncé l’approbation par le Conseil des ministres d’un texte intitulé: « Avant-projet de statut personnel ».

Ce texte a déjà été déposé sur le bureau de l’APN. Il doit être examiné et adopté dans les prochains jours. Dès son adoption, il aura donc force de loi.

Ce « statut personnel» n’est en fait rien d’autre que la résurgence de l’avant-projet de code de la famille que les femmes combattent depuis des années. C’est grâce à leur lutte que ce texte n’a pu être soumis à l’APN en 1979.

Ce code de la famille, comme son nom l’indique, doit codifier les relations à l’intérieur de la cellule familiale et régir la vie quotidienne de chacun d’entre nous. Il pèsera sur la nature des relations sociales de tout un peuple. Il concerne donc l’ensemble de notre communauté nationale.

Quel que soit le contenu de ce texte, nous dénonçons le silence qui a entouré sa préparation et l’absence de toute consultation populaire.

Un projet élaboré à l’insu du peuple ne peut satisfaire qu’une minorité.
Nous ne pouvons accepter, nous n’acceptons pas que notre avenir soit décidé en dehors de nous.

Nous refusons que l’APN vote un texte en lequel le peuple ne peut se reconnaître puisqu’il a été exclu du processus de décision.
Nous exigeons que sur cette question, le peuple puisse décider librement et démocratiquement. C’est pourquoi nous signons massivement cette pétition et appelons à la porter tous ensemble au siège de l’APN.

L’initiative donc de la rédaction de cette pétition et du rassemblement du 28 octobre a donc été faite complètement en dehors de toutes les organisations de masses, mais des membres de ces organisations ont individuellement signé ce texte.

De nombreuses personnes disaient : « C’est de la folie, c’est suicidaire… on ne peut pas sortir dans la rue… La répression est une réalité dans ce pays… ce n’est pas possible… ça ne sert à rien… » Mais les femmes qui avaient rédigé cette pétition répondaient : « Non, il n’y a pas de raison qu’on ne fasse pas quelque chose ! Si on a peur sans arrêt, on ne fera jamais rien.»

La pétition a eu en définitive beaucoup de succès… Ce texte est immédiatement polycopié avec les moyens du bord, recopié, repolycopié, distribué et envoyé dans différentes villes d’Algérie : Tizi-Ouzou, Oran, Annaba, Constantine, Bel Abbès puis en France19.
« Compte tenu des forces qui étaient mobilisées… pour la faire circuler… on était un très petit nombre… c’était très difficile et l’on n’avait qu’une semaine… pour le 28 octobre, on a récolté quand même à peu près 7 000 signatures et si on avait eu plus de temps ou aurait pu en avoir beaucoup plus. »

Peu après cette initiative, les femmes qui étaient en dehors du Collectif et qui étaient contre le principe d’un rassemblement dans la rue rédigent elles aussi une pétition qui ne rencontra qu’un faible succès. D’autres initiatives émanent aussi des travailleuses du plan, de la santé, etc.
On constate alors une multitude d’actions éclatées.

Le 28 octobre donc, le rassemblement prévu devant l’APN a lieu composé d’une centaine de femmes et de cinq hommes. Une délégation se dégage : « On est rentrées… d’abord on nous a demandé nos pièces d’identité… c’était les flics de la Fac qui étaient à l’APN pour nous recevoir… C’est drôle parce qu’ils croyaient que c’étaient les filles de la fac, alors que la fac était presque absente pendant tout le rassemblement – c’étaient des femmes travailleuses qui étaient là .

On est montées – et la personne qui nous a reçues… ça devait être un flic de l’APN… nous a dit qu’il ne pouvait pas décider lui-même d’une réunion de la délégation avec le président de l’APN puisque celui-ci était en train de préparer les législatives.
On est sorties sans rien, mais on a réussi à marcher en groupe jusqu’à la grande poste20 en criant des slogans contre le code.

On s’est réunies alors dans la cour de l’hôtel Mustapha et on a décidé de revenir quinze jours tard, de continuer à faire signer la pétition et de revenir encore une fois devant le siège de l’APN puisque c’était là que ça se décidait. »

La pétition demandait donc très clairement le rejet pur et simple du texte et refusait le principe des amendements. « On ne débat même pas d’un texte pareil… on rejette le projet tout en bloc… parce que les débats au niveau national, on sait ce que c’est… il y a eu le débat sur la Charte nationale, le débat sur les problèmes de la jeunesse, le débat sur la culture… on n’a pas vu tellement les résultats… On sait très bien qu’après, le parti se réunit pour – à sa manière – rédiger des textes sont finalement absolument antidémocratiques. On ne voyait pas en plus l’intérêt d’un code qui régit spécialement la famille puisqu’il y a un code civil qu’il suffit d’amender ».

El Moudjahid du lendemain, à la surprise des manifestantes, publie un article concernant la manifestation intitulé « Des femmes en colère» (30 octobre).
« On a dansé quand on a vu cet article… on s’attendait au black-out total, l’article était très mauvais21 mais il y a eu l’information, ce qui était très, très rare… ça n’existe pas ici. »

À ce moment-là, au sein du Collectif est proposée l’idée d’«impliquer» les anciennes moudjahiddates22 « qui ont beaucoup d’autorité – officiellement – qui ont un passé historique et qui exercent des fonctions où elles peuvent toucher beaucoup d’autres femmes. »

Certaines femmes vont donc contacter – à la sortie d’un procès – Myriem Benmihoub, avocate au barreau d’Alger qui venait de défendre les étudiants arrêtés suite aux événements de Kabylie. Celle-ci, chaleureusement, donne son accord pour participer à un mouvement de protestation, contacter d’autres femmes du barreau et agir avec elles mais « de manière assez prudente et organisée» (selon une des femmes de la délégation).

Le 16 novembre – deuxième rassemblement des femmes devant l’APN.

A cette manifestation – qui rassemblait le plus grand nombre de femmes; on en comptait environ trois cents – ont participé le collectif des avocates – autour de Myriem Benmihoub23 -, le collectif des femmes inorganisées, un certain nombre d’anciennes moudjahiddate et, semble-t-il aussi, l’UNJA (si ses militantes y aillent individuellement).

De plus, participaient aussi, outre Mme Benmihoub, Mme Bitat (Zohra Drif), femme du président de l’APN et Djamila Bouhired, figures de proue de la résistance des femmes pendant la guerre d’Algérie. La présence de ces « personnalités » a tout à la fois sécurisé les femmes présentes et donné une grande publicité à l’événement. La RTA24 qui avait cependant filmé tout le rassemblement n’en a cependant rien retransmis.

La lutte se poursuit:  » Le 16 novembre, même chose que le 28 octobre, on se retrouve à 10 heures devant l’Assemblée et ça commence très mal. Les flics ont essayé d’effaroucher, d’intimider les femmes qui tentaient de se rassembler. Dès que les premières femmes s’approchaient, les flics arrivaient avec leurs appareils photos… nous intiment l’ordre de bouger… ce qu’on n’a pas fait. »

Devant cette résistance, les policiers ramènent des voitures et interpellent quatre personnes, trois femmes et un homme qu’ils envoient au Commissariat central pour interrogatoire. Au début ça a été un peu l’affolement et puis très vite un rassemblement s’est reconstitué.

Une délégation porteuse d’environ 10 000 signatures25 a été reçue par deux vice-présidents de l’APN et par le président de la commission juridique chargé de l’étude du projet de statut personnel.

Compte-rendu de la délégation du rassemblement du 16 novembre

La délégation a d’abord exigé la libération immédiate des quatre personnes et les papiers de la déléguée d’Oran. Ce n’est qu’après avoir obtenu des assurances à ce sujet que la délégation a accepté de passer au point à l’ordre du jour.
La délégation a demandé que le projet ne soit pas voté par l’APN et soit soumis au débat public sur les bases suivantes :

– Alors que les femmes ont le droit de vote, ont débattu et voté des textes aussi importants que la charte nationale, la constitution et l’élection du président, le projet les rend mineures et passe sans leur avis ;
– Si les femmes ont pu discuter et voter pour des textes tels que la charte nationale et la constitution, il est évident qu’elles doivent débattre et discuter de ce projet appelé à codifier leur vie ;
– Il n’est pas possible d’engager l’avenir de millions de personnes dans les conditions prévalant actuellement à l’adoption du statut personnel.

D. Melaïka a fait un long discours dont on peut tirer pour l’essentiel ceci : cet avant-projet a été proposé par le gouvernement à l’APN où toutes les forces sociales sont représentées.
Belayat : Les projets tels que la charte nationale sont du ressort du FLN qui les propose au débat public car ils sont politiques. Alors que ce texte est un texte de loi ne faisant que régir les relations personnelles. Ce texte n’est pas politique mais technique.

– Quelles que soient les pétitions, les pressions, l’APN est souveraine ;
– L’initiative que vous avez prise, nous la considérons comme positive dans le sens de l’organisation mais on ne la considère pas comme une pression ;
– L’APN a toutes les prérogatives pour légiférer et imposer, elle est souveraine en dernière instance ;
– Allez voir l’UNFA qui a participé à l’élaboration de cet avant-projet.

Metatla : Moi je parle de la procédure : arrivant du gouvernement à l’APN, un avant-projet n’a pas à être discuté. Il peut être discuté avant. Vous arrivez trop tard, il fallait le discuter lorsqu’il était au ministère de la Justice. L’essentiel pour nous est que ce texte ne soit pas en contradiction avec la constitution.

La délégation est intervenue à ce moment, en faisant remarquer :
– qu’il y a deux ans, on disait c’est trop tôt… il n’existe pas. De plus le projet au ministère de la Justice, personne n’en a entendu parler ;
– la constitution prévoit l’égalité de l’homme et de la femme ; or ce texte considère la femme comme dépendant en permanence d’un homme.

Metatla, questionné sur les raisons pour lesquelles ce projet n’a pas été porté à la connaissance du peuple répond: « C’est un projet de loi donc il n’a pas à être encore connu par le peuple.» Il déclare à la délégation qu’elle ne doit pas croire aux rumeurs.
La délégation : Nous n’écouterions pas les rumeurs si le projet avait été public.
Metatla : On ne peut pas vous le donner, ce projet est secret, seuls les membres de la commission ont le droit de le voir, même les autres députés n’y ont pas droit.
Belayat, pour conclure la discussion, déclare que « si on publiait ce texte maintenant, vu la mentalité de notre peuple, on arriverait au sang et peut-être aux armes ».
La délégation fait remarquer : «Vous acceptez alors de voter un texte qui peut mener à la guerre civile? »
Elle a conclu qu’elle constate et prend acte que les représentants de l’APN maintiennent que ce texte restera secret et sera voté sans l’avis du peuple.

* * *

À la sortie de l’APN les femmes se sont « dirigées vers le conseil national de l’UNFA qui se réunissait à la chambre de commerce d’Alger. À la tête du rassemblement il y avait Myriem Benmihoub, des tas d’avocates et des anciennes moudjahidate en masse. Au début on a refusé de les recevoir. Elles ont insisté, elles ont protesté en disant : « C’est un scandale, l’APN a reçu une délégation de vingt femmes et vous, organisation de femmes, vous ne voulez pas nous recevoir…» Alors Mme Djeghroud a dit: « D’accord, je reçois trois femmes… pas plus… pas question.» Les femmes ont rétorqué… « Jamais de la vie… l’APN en a reçu vingt… vous en recevrez vingt… on ne bouge pas. » De guerre lasse, elle a dit : « D’accord, je reçois vingt femmes mais pas en réunion plénière…» Alors les femmes ont dit : « Si ! On ne veut pas discuter seules à seule avec vous… On veut discuter avec toutes les femmes qui sont ici présentes… »
Elle a alors répondu : « Non… si c’est comme ça… ce n’est pas la peine… c’est hors de question » et elle est partie et elle a fermé la salle où se tenait le Conseil national26et a reçu les femmes en privé. »
Elle leur a alors proposé – dans la mesure où l’UNFA allait être représentée dans la commission de l’APN chargée des amendements – de proposer des amendements que l’UNFA se chargerait de transmettre.

C’est à ce moment-là que la tendance qui disait « rejet pur et simple du texte » est devenue minoritaire. Quant à la tendance majoritaire, elle regroupait alors des femmes inorganisées, des militantes de l’UNJA, de l’UNFA et des femmes du PAGS27 (qui revendiquaient « un débat réellement démocratique débouchant sur des amendements qui assurera à notre société le code progressiste dont elle a besoin pour sortir du sous-développement»), le collectif des avocats (où les femmes avocates étaient les plus actives), de nombreuses anciennes maquisardes, mais aussi des femmes travailleuses, des lycéennes, quelques étudiantes.

Toute une série d’initiatives (lettres, pétitions, courrier des lecteurs, motions) vont être dorénavant prises et surtout de nouveaux acteurs vont faire basculer les forces en présence.


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Source :www.marievictoirelouis.net

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