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Les Birmans désespérés se tournent vers leurs Moines

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LES BIRMANS DÉSESPÉRÉS SE TOURNENT VERS LEURS MOINES [[Traduit de l’Anglais par Hélène LE, pour www.buddhachannel.tv ]]


30.05.2008

KUN WAN, Myanmar – C’est une scène que les généraux du Myanmar au pouvoir ont peu de chance de voir se jouer pour eux-mêmes : alors qu’un convoi de camions transportant des secours et dirigé par des moines, traverse les villages dévastés par la tempête, des mères et leurs enfants affamés et sans-abri s’inclinent en signe de supplication et de respect.

monks-cyclone.jpg<< Des moines nettoyant les décombres. Photo d'archive The Irrawaddy

« Lorsque je vois ces gens, j’ai envie de pleurer », raconte Sitagu Sayadaw, 71 ans, l’un des moines séniors les plus respectés du Myanmar.

Dans sa clinique improvisé de ce village près de Bogalay, une ville du Delta de l’Irrawaddy située à 120 kilomètres ou 75 miles au Sud Ouest de Rangoun, des centaines de villageois que le cyclone Nargis a plongé dans la misère, arrivent chaque jour en quête d’une assistance qu’ils n’ont pas reçue de la junte ou des acteurs de l’aide internationale.

Ils pataugent des heures durant dans le fleuve houleux, ou portent leurs parents malades sur leurs dos, sous la pluie et dans la boue – voyageant des kilomètres pour atteindre l’unique aide sur laquelle ils pourront toujours compter : les moines bouddhistes.

Le cyclone du 3 mai à fait plus de 134 000 morts ou disparus et 2,4 millions de survivants en lutte contre la faim et l’absence d’abris. Récemment, des personnes qui avaient trouvé refuge dans les monastères ou s’étaient réunies sur le bord des routes en attente d’aide, ont encore été déplacés, cette fois par la junte, qui pour les empêcher de gêner le gouvernement, veut qu’elles s’en retournent à leurs villages « pour la reconstruction ». Des officiels de l’ONU ont indiqué vendredi que des réfugiés étaient également expulsés des camps dirigés par le gouvernement.

Mais il reste bien peu de leurs maisons, ils sont presque aussi exposés aux éléments que leurs buffles d’eau aux manteaux boueux. L’aide extérieure met du temps à arriver, les agences humanitaires étrangères n’ayant qu’un accès incrémentiel au très touché delta de l’Irrawaddy et le gouvernement saisissant les voitures de certains donateurs birmans.

« Je n’ai jamais vu un hôpital de ma vie. Je ne sais pas où se trouve le bureau du gouvernement. Je ne peux rien acheter au marché car j’ai tout perdu à cause du cyclone », explique Thi Dar. « Alors je suis venu vers les moines ».

Des larmes roulant de ses yeux, cette femme de 45 ans joint ses mains en signe de respect devant le premier moine qu’elle voit à la clinique de Sitagu, et lui raconte son histoire. Les huit autres membres de sa famille ont été tués dans le cyclone. Elle s’est alors senti des envies de suicide mais n’avait plus personne à qui parler. L’autre jour, une rumeur s’est répandue dans son village, selon laquelle un moine aurait ouvert une clinique à 10 kilomètres en amont du fleuve. Elle s’est donc réveillée tôt jeudi pour prendre le premier bateau qui remontait le fleuve.

Nay Lin, 36 ans, médecin volontaire à la clinique de Kun Wan, une des six cliniques et abris d’urgence que Sitagu a ouvert dans le delta, raconte : « Nos patients souffrent de plaies infectées, de douleurs abdominales et de vomissements. Ils ont aussi besoin d’une assistance pour traumatisme mental, anxiété et dépression. »

Depuis le cyclone, les Birmans se sont encore plus rapprochés des moines alors même que leur aliénation par la junte grandit. Ce qui est de mauvais augure pour le gouvernement, qui a violemment réprimé des milliers de moines lorsqu’ils étaient descendus dans les rues en septembre dernier, appelant les généraux à améliorer la condition de la population.

De village dévastés en villages dévastés, on distingue très vite qui a gagné le cœur du peuple.

Certains moines sont morts avec le peuple dans la tempête. A présent, les autres consolent les survivants en partageant leur misère boueuse.

Alors qu’on a accusé le gouvernement d’empêcher l’effort humanitaire, le monastère bouddhiste, centre traditionnel de l’autorité morale dans la plupart des villages ici, a prouvé qu’il était la seule institution sur laquelle la population pouvait compter pour obtenir de l’aide.

Des monastères dans le delta – ceux encore debout après la tempête – abondaient en réfugiés. Les gens s’y rendaient avec des donations ou pour y être volontaires. Des monastères qui servaient de centres religieux, d’orphelinats et de foyers pour les plus âgés sont alors aussi devenus des refuges pour les sans-abris.

 » Le rôle des moines est plus important que jamais », explique Ar Sein Na, 46 ans, moine du village deltaïque de That Kyar. « En cette période d’immense souffrance, la population n’a que les moines vers qui se tourner ».

Kyi Than, 38 ans, raconte qu’elle a fait 25 kilomètres en bateau jusqu’au camp de Sitagu.

« Le moine de notre village est mort durant la tempête. Çà m’a fait tant de bien aujourd’hui de pouvoir parler à un moine pour la première fois depuis la tempête. Les moines sont comme des parents pour nous », confie t-elle. « Le gouvernement veut que nous nous taisions, tandis que les moines nous écoutent ».

Face à la catastrophe naturelle la plus meurtrière de l’histoire récente du pays, les plus âgés des moines organisent leur propre campagne d’aide humanitaire.

Chaque jour, leurs convois se dirigent vers les routes du delta. Sitagu fait figure de dirigeant dans cet effort, et son nom inspire invariablement paroles respectueuses ou pouces levés.

« La méditation ne peut réprimer cette catastrophe. Le soutien matériel est maintenant très important », dit Sitagu. « Maintenant dans notre pays, les soutiens spirituels et matériels sont en déséquilibre ».

Des camions chargés de riz, haricots, oignons, vêtements, bâches et ustensiles de cuisine, en provenance de tout le Myanmar, sont arrivés au Centre Missionnaire Bouddhiste International de Sitagu à Rangoun très tôt ce matin. Chaque jour, peu après l’aube, un convoi de camions ou une barge sur le fleuve de Rangoun part vers le delta, chargé de fournitures et de volontaires.

Pour les villageois d’ici, Sitagu semble avoir l’autorité d’un pape parmi les Catholiques romains. Il est assis sur un banc de bois dans le champ de son quartier général, les gens font la queue pour lui présenter leurs respects. Les villageois viennent pour présenter des listes de leurs besoins les plus urgents. Des moines des villages extérieurs viennent quérir de l’aide pour la réparation de leurs temples. Des familles riches venues des villes s’agenouillent devant lui et lui font don de liasses de billets.

Cependant, comme les autres moines âgés ici, il doit faire montre d’un équilibre prudent. Il a le devoir moral de parler au nom de son peuple en souffrance mais doit aussi protéger ses programmes sociaux et ses hôpitaux, qui fournissent des soins médicaux gratuits aux démunis dans un pays où le gouvernement considère de telles entreprises privées comme un reproche.

Mais, s’exprimant une après-midi dans son refuge au toit battu par une pluie de mousson, Sitagu semble frustré par le gouvernement.

« Dans mon pays, je ne vois pas de vrai dirigeant politique. « La voie birmane de la démocratie »? interroge t-il, se référant au plus haut dirigeant de la junte. « Qu’est-ce que c’est? »

Il défend le soulèvement des moines en septembre dernier, et argue que les échecs du gouvernement à fournir la « stabilité matérielle » pour la population a sapé la capacité des moines à fournir une « stabilité spirituelle ».

Selon des moines interrogés dans le delta et à Rangoun, il n’y a aucun signe d’une manifestation imminente.

Cependant, un moine de 40 ans au camp de Sitagu explique que « les moines sont très en colère » à cause de l’action récente du gouvernement pour expulser les réfugiés hors des monastères, des baraques sur les bords de routes et d’autres abris de fortune, alors même que le média d’état narre les histoires liées à l’effort humanitaire du gouvernement. « Le gouvernement ne veut pas montrer la vérité ».

Un jeune moine dans le monastère de Chaukhtatgyi Paya dans le district de Rangoun prédit qu’il y aura des troubles. « Vous en verrez encore car tout le monde est en colère et sans emploi », déplore t-il. Il raconte avoir rejoint la « révolution safran » de septembre, pendant laquelle un soldat lui a fait une large entaille au dessus de l’œil droit en le battant.

Un moine de l’état de Mon dans le Sud du Myanmar, qui visite le delta afin d’évaluer les dégâts et prévoir une cargaison humanitaire, indique : « Pour le gouvernement, ces gens ne sont rien de plus que des animaux morts dans les champs ».

La confrontation en ébullition des deux piliers de la vie du Myanmar moderne – l’armée et le clergé bouddhiste – était évidente au village après le cyclone.

Peu après la tempête, un moine à Myo Thit, village situé à 30 kilomètres de Rangoun, marchait avec un mégaphone invitant les victimes à son monastère et demandant des donations à la population. Le moine a du s’arrêter, disent les villageois, après qu’un dirigeant de la commune affilié au gouvernement l’a menacé de confisquer le mégaphone.

L’interdépendance entre moines et laïcs est séculaire. Les moines reçoivent l’aumône – nourriture, médicaments, vêtements, argent pour acheter des livres – des laïcs. En retour, ils leur offrent un réconfort spirituel. Dans les villages sans écoles gouvernementales, l’éducation monastique est souvent la seule accessible aux enfants.

« Il y a un lien de réciprocité entre les moines et les laïcs », explique Desmond Chou, expert en religions comparées d’origine birmane, résidant à New Delhi. « Si un incendie se déclare dans un village du Myanmar, c’est généralement les moines, et non les pompiers, qui arrivent les premiers pour porter secours à la population ».


Source : International Herald Tribune

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