UNE GRANDE CONSCIENCE DE NOTRE EPOQUE DISPARAIT
Aimé Césaire rassemblait toutes les diversités, tous les paradoxes.
Grand humaniste à la conscience perspicace, homme de lettres au langage choisi et raffiné, poète dramaturge, philosophe et même politique, cet agrégé réunissait les êtres par sa positivité, en leur suggérant toujours de grandir, d’éviter la médiocrité, les rancunes, les mesquineries.
Chantre de la Négritude avec son grand ami Léopold Senghor, il dira :
« Ma négritude n’est ni une tour, ni une cathédrale. »
Césaire, par sa philosophie de la vie, par son regard politique,
par son langage poétique,
a nourri les hommes de toutes les races.
Il a dénoncé la barbarie, sans jamais mettre les hommes les uns contre les autres.
Il a demandé à chacun de devenir meilleur pour lui-même et pour le partager.
Aimé a parlé d’amour de soi et des autres.
Aimé, le bien-aimé, nous a parlé de bienveillance pour tous.
Un langage incisif qui apporte la Paix.
Une dénonciation des violences pour donner envie de beauté et d’égalité.
La négritude n’est pas un repli identitaire,
elle est ce que l’Afrique peut apporter à l’héritage mondiale.
Merci à Aimé Césaire pour ce langage si inspirant.
Alain Delaporte-Digard
« Il y a une raison nègre,
il y a une philosophie nègre,
il y a un art nègre.
C’est une découverte très tardive.
Il s’agit de rappeler une Afrique oubliée, déformée et moquée.
En finir avec un exotisme superficiel. »
« J’ai plié la langue française à mon vouloir-dire »
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AIMÉ CÉSAIRE
EXTRAITS DU DISCOURS sur le COLONIALISME, en 1950
« Il faudrait d’abord étudier comment la colonisation travaille à déciviliser le colonisateur, à l’abrutir au sens propre du mot, à le dégrader, à le réveiller aux instincts enfouis, à la convoitise, à la violence, à la haine raciale, au relativisme moral, et montrer que, chaque fois qu’il y a eu au Viêt-nam une tête coupée et un oeil crevé et qu’en France on accepte, une fillette violée et qu’en France on accepte, un Malgache supplicié et qu’en France on accepte, il y a un acquis de la civilisation qui pèse de son poids mort, une régression universelle qui s’opère, une gangrène qui s’installe, un foyer d’infection qui s’étend et qu’au bout de tous ces traités violés, de tous ces mensonges propagés, de toutes ces expéditions punitives tolérées, de tous ces prisonniers ficelés et « interrogés », de tous ces patriotes torturés, au bout de cet orgueil racial encouragé, de cette lactance étalée, il y a le poison instillé dans les veines de l’Europe, et le progrès lent, mais sûr, de l’ensauvagement du continent.
«Une civilisation qui s’avère incapable
de résoudre les problèmes que suscite son fonctionnement
est une civilisation décadente.»
« Entre colonisateur et colonisé, il n’y a de place que pour la corvée, l’intimidation, la pression, la police, le vol, le viol, les cultures obligatoires, le mépris, la méfiance, la morgue, la suffisance, la muflerie, des élites décérébrées, des masses avilies.
Aucun contact humain, mais des rapports de domination et de soumission qui transforment l’homme colonisateur en pion, en adjudant, en garde-chiourne, en chicote et l’homme indigène en instrument de production.
A mon tour de poser une équation : colonisation = chosification.
J’entends la tempête. On me parle de progrès, de « réalisations », de maladies guéries, de niveaux de vie élevés au-dessus d’eux-mêmes.
Moi, je parle de sociétés vidées d’elles-mêmes, des cultures piétinées, d’institutions minées, de terres confisquées, de religions assassinées, de magnificences artistiques anéanties, d’extraordinaires possibilités supprimées.
On me lance à la tête des faits, des statistiques, des kilométrages de routes, de canaux, de chemin de fer.
Moi, je parle de milliers d’hommes sacrifiés au Congo-Océan. Je parle de ceux qui, à l’heure où j’écris, sont en train de creuser à la main le port d’Abidjan. Je parle de millions d’hommes arrachés à leurs dieux, à leur terre, à leurs habitudes, à leur vie, à la danse, à la sagesse.
Je parle de millions d’hommes à qui on a inculqué savamment la peur, le complexe d’infériorité, le tremblement, l’agenouillement, le désespoir, le larbinisme.
On m’en donne plein la vue de tonnage de coton ou de cacao exporté, d’hectares d’oliviers ou de vignes plantés.
Moi, je parle d’économies naturelles, d’économies harmonieuses et viables, d’économies à la mesure de l’homme indigène désorganisées, de cultures vivrières détruites, de sous-alimentation installée, de développement agricole orienté selon le seul bénéfice des métropoles, de rafles de produits, de rafles de matières premières.
On se targue d’abus supprimés.
Moi aussi, je parle d’abus, mais pour dire qu’aux anciens – très réels – on en a superposé d’autres – très détestables. On me parle de tyrans locaux mis à la raison ; mais je constate qu’en général ils font très bon ménage avec les nouveaux et que, de ceux-ci aux anciens et vice-versa, il s’est établi, au détriment des peuples, un circuit de bons services et de complicité.(…) »
POEME D’AIME CESAIRE
Partir.
Comme il y a des hommes-hyènes et des hommes-panthères,
je serais un homme-juif
un homme-cafre
un homme-hindou-de-Calcutta
un homme-de-Harlem-qui-ne-vote-pas
l’homme-famine, l’homme-insulte, l’homme-torture
on pouvait à n’importe quel moment le saisir le rouer de coups,
le tuer – parfaitement le tuer –
sans avoir de compte à rendre à personne
sans avoir d’excuses à présenter à personne
un homme-juif
un homme-pogrom
un chiot
un mendigot
mais est-ce qu’on tue le Remords,
beau comme la face de stupeur d’une dame anglaise
qui trouverait dans sa soupière un crâne de Hottentot?
« En nommant les objets,
c’est un monde enchanté, un monde de monstres,
que je fais surgir sur la grisaille mal différenciée du monde ;
un monde de puissances que je somme,
que j’invoque et que je convoque.
En les nommant, flore, faune, dans leur étrangeté ;
je participe de leur force. «